L'Amérique "nécessaire au monde"
Point de vue : Pierre Berthaud
Société
Article
Isolationnisme, protectionnisme, fin du libre échange... Quelles seraient les conséquences pour l'économie mondiale, si ces mesures annoncées par Trump étaient appliquées ? Pierre Berthaud, spécialiste de l'économie politique internationale, répond.
Les Etats-Unis ne sont pas le seul pays où l'on reproche aux dirigeants politiques élus de ne pas tenir leurs promesses de candidats – de "trahir" leurs électeurs - une fois la victoire électorale acquise. Mais voici qu'aux Etats-Unis et, plus encore dans le reste du monde, on se prend à espérer que le vainqueur de l'élection et futur 45è président s'empressera à son tour de trahir ses promesses, qu'il renoncera aux priorités qu'il a affichées au cours de la campagne. Cela concerne en tout premier lieu la priorité affichée de s'attaquer aux problèmes intérieurs (ceux du forgotten people dans les propres mots du candidat Trump) – ce qui a vite été interprété comme une forme de retour à l'isolationnisme. En découle un ensemble d'engagements à renégocier les traités internationaux dans les domaines du commerce et de la lutte contre le changement climatique, à revoir les positions des Etats-Unis sur la défense de l'Europe, la lutte contre Daesh et le terrorisme – quitte à se montrer beaucoup plus coopératif avec la Russie – à engager un rapport de forces avec la Chine sur la loyauté dans les échanges commerciaux…
Disons-le tout net. Donald Trump n'ayant pas été élu sur un programme véritable, il sera difficile dans quatre ans de le juger sur sa capacité ou non à tenir ses promesses. Peut-être faut-il davantage se concentrer sur un des fondamentaux de l'économie américaine aujourd'hui : ses déséquilibres globaux.
L'économiste François Perroux écrivait en 1947 "que les choix intérieurs de l'Amérique sont des choix de politique mondiale" – considérant par-là que les Etats-Unis occupaient une place unique dans le système international. Les choses ont certes bien changé depuis. Le poids relatif de l'économie américaine mesuré par son PIB s'est réduit de moitié en 70 ans par rapport à l'Europe puis au Japon, aujourd'hui la Chine et peut être demain l'Inde et quelques autres pays émergent. Le monde en est-il pour autant devenu multipolaire, donc moins polarisé sur les rythmes de l’économie américaine et sur les choix de son administration ? Le monde aurait-il moins à espérer ou à redouter des choix de l’Administration Trump ?
Car il est un domaine où le poids des Etats-Unis n'a cessé de croître. C'est celui de leurs déficits courants qui sont le symétrique des excédents chinois ou européens (tout particulièrement allemands). La croissance de l'économie mondiale y a trouvé un de ses moteurs les plus constants. Son instabilité et ses facteurs de tension également. Les sources de la polarisation de l'économie mondiale ont donc changé du tout au tout en 70 ans mais la polarisation demeure et elle se matérialise dans le statut unique du dollar. Les positions "musclées" affichées par le candidat Trump au cours de la campagne sur le gel de certains traités commerciaux ou l'adoption de mesures protectionnistes seraient de peu d’effet comparativement à ce qu'un programme de réduction des déficits ou une "guerre des monnaies" enclenchée par l'Administration Trump pourraient avoir comme incidences sur le monde. Et si le candidat ne s'est guère prononcé sur la politique du dollar qu'il entend mettre au service du "renouveau de l'Amérique", il s'est engagé sur des programmes de grands travaux et sur des dépenses de sécurité nationale qui ne manqueraient pas en se réalisant de creuser encore les déficits américains. L'enjeu serait alors de savoir jusqu'à quel point ces déséquilibres globaux seraient soutenables pour l'économie américaine et profitables à l'économie mondiale sans ruiner le système dollar. "Le dollar est notre devise mais c'est votre problème" proclamait en 1971 le secrétaire au Trésor John Connally. Gageons qu'à cet égard, l'Administration Trump perpétuera la longue tradition du benign neglect ("douce insouciance") de ses prédécesseurs. Car l'Amérique est plus que jamais "nécessaire au monde". Et pour la prospérité et la paix dans le monde, il y a plus à craindre ou à redouter de la politique du dollar que de la renégociation des traités commerciaux.
Disons-le tout net. Donald Trump n'ayant pas été élu sur un programme véritable, il sera difficile dans quatre ans de le juger sur sa capacité ou non à tenir ses promesses. Peut-être faut-il davantage se concentrer sur un des fondamentaux de l'économie américaine aujourd'hui : ses déséquilibres globaux.
L'économiste François Perroux écrivait en 1947 "que les choix intérieurs de l'Amérique sont des choix de politique mondiale" – considérant par-là que les Etats-Unis occupaient une place unique dans le système international. Les choses ont certes bien changé depuis. Le poids relatif de l'économie américaine mesuré par son PIB s'est réduit de moitié en 70 ans par rapport à l'Europe puis au Japon, aujourd'hui la Chine et peut être demain l'Inde et quelques autres pays émergent. Le monde en est-il pour autant devenu multipolaire, donc moins polarisé sur les rythmes de l’économie américaine et sur les choix de son administration ? Le monde aurait-il moins à espérer ou à redouter des choix de l’Administration Trump ?
Car il est un domaine où le poids des Etats-Unis n'a cessé de croître. C'est celui de leurs déficits courants qui sont le symétrique des excédents chinois ou européens (tout particulièrement allemands). La croissance de l'économie mondiale y a trouvé un de ses moteurs les plus constants. Son instabilité et ses facteurs de tension également. Les sources de la polarisation de l'économie mondiale ont donc changé du tout au tout en 70 ans mais la polarisation demeure et elle se matérialise dans le statut unique du dollar. Les positions "musclées" affichées par le candidat Trump au cours de la campagne sur le gel de certains traités commerciaux ou l'adoption de mesures protectionnistes seraient de peu d’effet comparativement à ce qu'un programme de réduction des déficits ou une "guerre des monnaies" enclenchée par l'Administration Trump pourraient avoir comme incidences sur le monde. Et si le candidat ne s'est guère prononcé sur la politique du dollar qu'il entend mettre au service du "renouveau de l'Amérique", il s'est engagé sur des programmes de grands travaux et sur des dépenses de sécurité nationale qui ne manqueraient pas en se réalisant de creuser encore les déficits américains. L'enjeu serait alors de savoir jusqu'à quel point ces déséquilibres globaux seraient soutenables pour l'économie américaine et profitables à l'économie mondiale sans ruiner le système dollar. "Le dollar est notre devise mais c'est votre problème" proclamait en 1971 le secrétaire au Trésor John Connally. Gageons qu'à cet égard, l'Administration Trump perpétuera la longue tradition du benign neglect ("douce insouciance") de ses prédécesseurs. Car l'Amérique est plus que jamais "nécessaire au monde". Et pour la prospérité et la paix dans le monde, il y a plus à craindre ou à redouter de la politique du dollar que de la renégociation des traités commerciaux.
Publié le15 novembre 2016
Mis à jour le8 février 2017
Mis à jour le8 février 2017
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L'auteur
Pierre Berthaud
Enseignant-chercheur en économie politique internationale
Membre du Centre de recherche en économie de Grenoble (CREG)
Responsable du master 2 "Gouvernance et développement international" à la Faculté d'économie
Université Grenoble Alpes
pierre.berthaud@univ-grenoble-alpes.fr