Le "mur Trump", moellons et ciment d’une politique populiste et nationaliste
Société
Article
Le mur de la frontière "à la Donald Trump" n’est pas une nouveauté, c’est une recette à la mode dans un monde où les murs et barrières frontalières se multiplient à grande vitesse. Paradoxalement, il s’agit à la fois d’un point marquant et de l’un des éléments les moins originaux du programme du président qui a été élu à la tête des États-Unis d’Amérique.
Record de reconduites sous Obama
Le mur en tant que tel existe déjà : à l’heure actuelle, 1 100 km des 3 145 km de frontière terrestre qui séparent le pays de son voisin du sud, le Mexique, sont aujourd’hui fermés matériellement, auxquels s’ajoutent des formes de surveillance à distance nombreuses et variées mises en place depuis 2007. Cette politique, initiée sous George W. Bush, n’a été que partiellement infléchie par Barak Obama. Si le mandat de ce dernier a effectivement marqué un frein au déploiement matériel de la fermeture de sa frontière méridionale, il reste en revanche marqué par une gestion stricte des flux qui la traversent : plus de 2,5 millions de personnes sans papiers en vigueur aux États-Unis ont été reconduites vers le Mexique – un record par rapport aux présidents précédents.La contradiction majeure de la barrière frontalière du sud des États-Unis réside dans le fait qu’elle traverse l’une des zones transfrontalières les plus intégrées du monde (plus de 300 millions de passages légaux annuels), tant d’un point de vue culturel qu’économique. Alors que l’on relie volontiers la construction du mur aux événements du 11 septembre 2001 et à la peur de la menace terroriste, il faut se rappeler que c’est à partir de la signature du Traité de libre-échange de l’Amérique du Nord (ALENA), le 1er janvier 1994 (année qui est aussi celle d’une dévaluation importante du peso mexicain) que les États-Unis ont commencé à enclore systématiquement leur limite méridionale.
Un débouché pour le système industriel sécuritaro-militaire
Les fondements de cette entreprise remontent à l’opération Intercept (lancée par Richard Nixon en 1969) et à la première « guerre contre la drogue » datant de 1971 : déjà, les États-Unis mettaient en œuvre pour la surveillance de la frontière méridionale des moyens militaires non utilisés au Vietnam. À partir de la fin de la première guerre du Golfe (1991), on va de la même façon voir « recyclés » des tôles et éléments logistiques de l’armée pour renforcer la fermeture de la frontière. On voit donc se profiler un système de contrôle différencié qui favorise certaines circulations, celles qui alimentent le système industriel et commercial des États-Unis, au détriment de la liberté de circulation des individus.L’autre trait marquant du fonctionnement de la fermeture de cette limite internationale est le recours à des équipements de plus en plus sophistiqués qui fonctionnent comme un débouché intéressant pour amener vers des marchés de la surveillance et de la sécurité « civile », le système industriel sécuritaro-militaire américain. Ainsi, le premier tronçon test du mur fut réalisé en 2007 dans le secteur de Tucson (Arizona), sur une distance de 45 km, par la firme Boeing qui a ensuite eu en charge le déploiement de nombreuses infrastructures du « mur ».
Un levier économique
Le mur n’est aujourd’hui finalisé que sur un tiers du tracé de la frontière du fait d’un coût prohibitif augmentant rapidement – de 3 à 5 millions de dollars par km construit –, soit 3 à 5,5 milliards déjà dépensés. Sans compter les dépenses d’entretien… Cette somme représente à la fois un enjeu en terme d’équilibre des finances publiques et un marché important pour les entreprises des secteurs de la sécurité et de la défense, ce deuxième facteur étant certainement déterminant dans le projet de Donald Trump. Ce dernier voit donc dans la barrière de sécurité méridionale un levier de sa politique économique.Cependant, aux portes de l’agglomération binationale de Ciudad Juárez –El Paso par exemple, il n’y a pas de mur à cause du relief, pas plus que dans certaines réserves autochtones où les droits ancestraux imposent de maintenir la possibilité de passage pour les individus, à défaut de laisser circuler les voitures. Certaines analyses posent, d’ailleurs, l’hypothèse que le mur n’est pas conçu pour être continu, malgré les effets d’annonce officiels. Son efficacité n’est dans doute pas proportionnelle à sa longueur, puisqu’elle est symbolique.
Ce qui est inédit de la part de Donald Trump, c’est la proposition de faire payer le mur aux Mexicains, notamment par des mesures de rétorsion au niveau national (renégociation des accords commerciaux) et individuel (menace d’interdire les renvois par les migrants de leurs économies ou « remises » dans leurs familles). C’est sans doute là que le bât blesse car ces mesures sont peu réalistes : comment et pourquoi couper des flux commerciaux qui bénéficient directement aux États-Unis avec l’importation massive de produits assemblés au Mexique, mais aussi grâce aux achats effectués par les Mexicains de la classe moyenne aux États-Unis? L’effet d’annonce préélectorale n’en a pas été moins puissant pour galvaniser l’électorat autour de la peur de l’autre. Le mur reste une arme paysagère qui permet aux gouvernants de mettre en scène leur pouvoir. Mais la grande muraille des États-Unis n’est-elle pas, comme celle qui la précéda en Chine, un signe de fin d’empire ?
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation le 1er décembre 2016.
Publié le1 décembre 2016
Mis à jour le8 février 2017
Mis à jour le8 février 2017
Vous aimerez peut-être aussi
- The Conversation : "Avec la guerre, changement d’ère dans la géopolitique du climat ?"
- The Conversation : "Dépenses, manque de transparence… pourquoi le recours aux cabinets de conseil est si impopulaire ?"
- The Conversation : "Et pourtant, on en parle… un peu plus. L’environnement dans la campagne présidentielle 2022"
- The Conversation : "L’empreinte carbone, un indicateur à utiliser avec discernement"