Marché européen du carbone : après le "Brexit"…
Des Britanniques à Bruxelles
Le Royaume-Uni – comme la majorité des États européens – a été un soutien ferme et constant du marché du carbone, et la contribution de ses économistes et experts s’est avérée déterminante.
Celui-ci a été pensé et mis en œuvre par une petite équipe de la Commission européenne. Aucun français, à notre connaissance, n’en faisait partie. Ce sont les Britanniques (avec trois économistes sur cinq), dont Peter Vis longtemps crédité comme le père de l’EU ETS, qui y ont tenu les premiers rôles. Peter Vis fut le principal auteur, en 2001, du "Livre vert sur le marché du carbone" ; et c’est encore lui qui dirigea par la suite toutes les discussions de la Commission à ce sujet.
Le Royaume-Uni sera d’ailleurs le premier pays à lancer, en 2001, un marché (volontaire) de permis d’émissions (UK ETS, United Kingdom Emissions Trading System), alors que l’EU ETS n’est entré en application qu’au 1er janvier 2008 (après une phase pilote démarrée en 2005).
Plus personne n’y croit
En 2006, un an après la naissance du marché européen des permis, l’économiste Christian de Perthuis écrivait : "Ce nouvel être a un bel avenir devant lui" (« Mission climat » de la Caisse des Dépôts, janvier 2006). Heureux temps ! Car l’avenir de ce marché est désormais derrière lui.
On ne fera pas ici son état des lieux. Après le Brexit, le prix d’un permis (représentant une tonne de CO2) a bien plongé de près de 20 %, mais ce n’est pas l’essentiel et la faillite de ce dispositif s’avère bien plus profonde.
Le prix des permis ne dépasse plus depuis longtemps celui des 5 à 6 euros la tonne, du fait notamment d’une allocation initiale trop généreuse de quotas à émettre et de contraintes institutionnelles et politiques entre les pays membres de l’Union qui rendent toute réforme sérieuse de ce marché extrêmement difficile. L’eurodéputé conservateur écossais Ian Duncan était précisément en charge du rapport sur la réforme de l’EU ETS ; depuis le Brexit, il a offert sa démission.
60 euros, mais après 2040
Pour être incitatif, et tenter de bifurquer vers des investissements et technologies à basse teneur en carbone, le prix des permis devrait être au minimum 6 à 10 fois plus élevé. Mais pour quand espérer ces 60 euros ?
Selon les experts les plus lucides, il est invraisemblable qu’un tel niveau de prix puisse advenir avant 2040. En gros, 83 installations seulement sont responsables du tiers des émissions couvertes par le système européen. Parmi ces 83 gros émetteurs de CO2, le marché des permis ne servira absolument à rien pour retirer de la production d’électricité européenne – une urgence absolue – les centrales à charbon les plus anciennes et les plus polluantes. Ni en Europe, ni ailleurs.
Le marché européen du carbone condamné ?
Cela semble difficilement imaginable. Trop d’investissements politiques, diplomatiques et intellectuels ont été consacrés à cette affaire pour que l’EU ETS soit rayé d’un trait de plume. Beaucoup trop coûteux sur le plan symbolique, et aussi pour la crédibilité des pouvoirs en place et des forces qui l’ont porté. Il va végéter, mollement.
Les marchés de permis sont toujours au plus haut de l’agenda des institutions internationales, Banque mondiale et FMI compris. Et il y a bien sûr la Chine, dont le président Xi Jinping a annoncé, le 24 septembre 2015, depuis la Maison-Blanche à Washington, le lancement d’un tel marché à l’échelle de son pays à compter de 2017.
Prenons cependant le temps d’écouter Qi Ye, le directeur de l’Institut de politique climatique de l’Université Tsinghua à Pékin : "L’Europe est assurément une économie de marché, si elle n’arrive pas à bien faire fonctionner son marché de permis d’émissions, comment est-il possible d’espérer que la Chine ait un jour un marché du carbone efficace ?"
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation le 5 juillet 2016.
Mis à jour le8 février 2017
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