The Conversation : "Un exemple de créativité dans le financement des start-up : la formule des BSA-AIR"
Le financement des start-ups relève d’une confrontation permanente entre la passion et la raison.
D’un côté la force mystérieuse qui anime l’entrepreneur au démarrage de son projet, l’intuition d’une opportunité à saisir, l’interprétation quasi chamanique des signaux faibles… mais aussi la séduction qui en émane et qui pousse les parties prenantes à rejoindre l’aventure. De l’autre, la structuration du projet, la mise en équation économique, la levée formelle des risques, la preuve par le démonstrateur ou, mieux, par le chiffre d’affaires et la rentabilité.
Cette relation connaît un moment particulier, que l’on nomme « equity gap » : L’activité a été lancée, et en général financée par ceux qu’on nomme love money (ou encore les 4F : fondateurs, famille, friends et fous). Le rêve a commencé à devenir réalité… mais commencé seulement. Il lui faut de nouvelles ressources pour prospérer, seulement ceux qui les détiennent, business angels ou acteurs du capital-risque, ont besoin de plus d’éléments rationnels pour engager leurs fonds.
L’image de la « vallée de la mort » s’impose alors à l’entrepreneur et malheur à celui qui n’aura pas suffisamment empli ses outres avant de s’engager dans ce désert.
Un outil importé il y a quelques années des États-Unis paraît pouvoir en sauver plus d’un : le BSA-AIR.
Quelle valeur pour quel investissement ?
La problématique qu’il tente de résoudre est simple : comment donner un prix à une start-up dont les preuves (de marché, de technologie, etc.) sont encore très ténues ? Mais aussi comment éviter, pour l’entrepreneur, de consacrer plus de temps à monter son financement, convaincre les investisseurs et négocier avec eux, qu’à développer son produit et sa clientèle. L’hypothèse est que la résolution de ces questions ouvrira la manne aux start-upers.
La solution traditionnelle consistait à passer par des obligations convertibles (OC). Ainsi le débat de la valorisation était-il reporté, l’obligataire se trouvant nanti d’une option de conversion en sus du titre de dette. Cette solution présentait toutefois quelques contraintes juridiques et opérationnelles. En France par exemple, l’émission d’obligation suppose l’existence de deux bilans certifiés. En outre, elle montrait l’inconvénient de charger le bilan et le compte de résultat.
L’innovation juridique est venue de l’accélérateur « Y Combinator », sous la forme d’un titre hybride joliment nommé SAFE pour « simple agreement for future equity ». Il se distingue des OC classiques par le statut juridique (warrant vs dette), par l’absence de taux d’intérêt et de date de maturité. Le SAFE est un contrat par lequel l’investisseur achète une option de souscription d’action à un prix qui sera déterminé lors de la prochaine augmentation de capital, modulo un plancher, un plafond et un discount.
Des SAFE aux bons de souscriptions d’action avec accord rapide
Cette formule a été transférée en droit français sous le nom de BSA-AIR par l’incubateur The Family, en association avec le cabinet SB avocats. BSA pour « bon de souscription d’action », AIR pour « accord d’investissement rapide ». Nous reprenons ci-dessous leur exemple :
Une start-up souhaite lever rapidement 50 KE. Elle a, à sa tête, deux fondateurs qui ont mis, à parts égales, 1 000 euros en capital. Le capital de la société est divisé en 10 000 actions d’une valeur nominale de 0,1 euro chacune, réparties à parts égales entre les fondateurs. La société vient de trouver son investisseur AIR qui est disposé à injecter les 50 KE avec une valorisation plafond à 1 ME et un taux de décote de 30 %. La société va donc émettre, par la simple signature d’un acte sous seing privé, un BSA-AIR au profit de cet investisseur, qui va acheter ce BSA pour 50 KE. Ce BSA lui donnera le droit de souscrire, à valeur nominale, un nombre variable d’actions déterminé en fonction du tour ultérieur. Ce tour se présente 9 mois plus tard et se fait sur une valorisation pré-monnaie de 1,6 ME pour un investissement de 500 KE. La valorisation retenue pour l’exercice du BSA-AIR sera donc de 1 ME (puisque la valorisation du second tour minorée de la décote excède la valorisation plafond). Le BSA-AIR donnera donc le droit à l’Investisseur AIR de souscrire un nombre d’actions égal à : 50 KE (soit le montant de son investissement)/((1 ME/10 000) (soit le prix par action) – Valeur nominale (pour neutraliser son décaissement)) soit après arrondi à l’entier inférieur 500 actions. Rétrospectivement, si cette valeur avait été connue au moment de l’émission du BSA et si l’Investisseur était entré directement par augmentation de capital, cela lui aurait conféré 4,76 % du capital social, soit de son point de vue, une valorisation pré-monnaie de la société de 1 ME.
Dans quelles conditions ?
Derrière l’apparente simplicité du produit, une doctrine d’application s’impose.
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Pas de BSA-AIR sans levée de fonds prévue à court terme ! l’ensemble du concept repose en effet sur la perspective tangible d’une levée de fonds, cette opération ayant pour vertu essentielle de fixer un prix. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’est déterminée une date butoir, ou échéance, à l’issue de laquelle la conversion des options se fera de droit aux conditions plancher. Date d’échéance qu’il conviendra de poser avec attention, ni trop éloignée, ni trop proche.
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La décote constitue le moteur de l’opération. Le souscripteur BSA-AIR assume un risque supérieur car il intervient en amont des investisseurs de la levée. L’usage en capital risque est de retenir un TRI d’au moins 35 %, de sorte qu’un discount inférieur à ce taux pourrait paraître peu attractif. Dans les faits, on peut se rapporter au proverbe (ici inversé) : « pas de chocolat, pas de bras ».
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Le plancher, ou floor, représente la valorisation en cas de non-réalisation de la levée. Il protège l’entrepreneur contre une prise de contrôle au rabais de son projet. En même temps, il doit rester loyal envers le souscripteur et donc permettre de faire a minima « comme si » il s’était s’agit d’un tour business angel classique.
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Le plafond, ou cap, est à la fois une protection et un incitateur supplémentaire pour le souscripteur. Il fixe en effet le % minimum que celui-ci recevra, quelle que soit la valorisation de la levée de référence. Dans l’hypothèse où celle-ci se réalise à des niveaux élevés, le souscripteur bénéficiera d’un supplément de valorisation.
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Last but not least, un bénéfice caché du BSA-AIR est de permettre de booster la start-up au moment précis où celle-ci est en train de convaincre des investisseurs potentiels de rejoindre le projet. C’est le « double effet kiss-cool » :-)
Ce mode d’emploi (succinct) dessine alors un profil spécifique pour les start-ups désireuses de recourir aux BSA-AIR : des projets à très fort potentiel avec une levée de fonds déjà lancée, significative et en capital.
En définitive, on a sans doute tort de présenter les BSA-AIR comme une poire pour la soif ou un prolongateur de piste de décollage. Ils ressembleraient plutôt au bidon de Gatorade que les sportifs vident à la fin de la course pour se doper en énergie et aller encore plus vite lors du sprint final.
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
Mis à jour le15 mars 2018
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L'auteur
Professeur associé en entrepreneuriat et finance entrepreneuriale
Grenoble IAE
Université Grenoble Alpes