Comment les hormones ont (peut-être) changé votre vote
Des problèmes statistiques liés aux modèles eux-mêmes compliquent la tâche : peut-on prévoir à l’avance, en pondérant des centaines de sondages, les résultats (régression vers la moyenne) ou bien est-ce que les sondages disent seulement l’état du corps électoral à un instant t (marche aléatoire) ?
Ces questions statistiques amènent aussi à des interrogations théoriques, à savoir : quelles sont les variables psychologiques voire biologiques qui influencent la décision lors d’un vote ?
Et si d’autres « circonstances », purement liées à la psychologie des individus au moment de leur vote, étaient susceptibles d’introduire du « bruit » dans les prédictions ? Il a été démontré que des décisions aussi importantes que des décisions médicales ou judiciaires sont légèrement influencées par l’état physiologique ou psychologique de l’individu. C’est également le cas pour le vote, qui serait ainsi influencé par nos cycles hormonaux.
Une étude publiée en 2013 dans la revue Psychological Science a testé, au moyen de statistiques inférentielles, cette idée apparemment fantasque. Kristina Durante, professeure de marketing à la Rutgers Business School dans le New Jersey, a montré notamment que les femmes, en couple, sont politiquement plus conservatrices au moment de l’ovulation, alors que les femmes célibataires seraient, au contraire, plus libérales durant cette même période. Le débat fait rage dans la discipline pour déterminer si, effectivement, les hormones ovariennes jouent un rôle dans le choix politique.
L’électeur rationnel
Il existe trois théories du choix rationnel. La théorie de la proximité prédit que l’électeur vote pour le candidat le plus proche de son point de vue (pondérant les différents sujets en fonction de leur intérêt). La théorie de l’actualisation ajoute l’hypothèse que les électeurs votent non pas en fonction de ce que dit un candidat mais en fonction de ce que ce dernier risque de faire une fois élu (il peut, par exemple, apparaître très à gauche lors de la campagne mais les votants savent que la politique engagée sera plutôt centre gauche).
Enfin, et a contrario, la théorie directionnelle décrit des électeurs comme dichotomisant des sujets et choisissant le candidat le plus extrême mais de leur bord. Cette théorie prédit que, par exemple, si vous avez 3 candidats respectivement très pro-euthanasie, modéré sur la question ou très anti-euthanasie, peu importe votre proximité « spatiale » (sur la ligne libéral-conservateur) avec le candidat modéré, vous voterez pour le candidat très pro-euthanasie même si vous êtes seulement légèrement pour l’euthanasie et, à l’inverse, voterez pour le candidat très anti-euthanasie si vous êtes légèrement défavorable à cette mesure.
Les limites des modèles rationnels
Ces théories soulèvent plusieurs problèmes. D’une part, il est évident que l’électeur peut difficilement se placer et placer son candidat de manière précise sur le spectre à propos de toutes les thématiques. L’électeur est souvent victime d’idées reçues voire de certains biais psychologiques comme le biais de confirmation (consistant à privilégier les informations renforçant nos idées préconçues). Plus grave : ces théories n’intègrent pas du tout l’impact de nos processus émotionnels dans l’élaboration du vote.
Au cours des dernières décennies, de nombreuses disciplines se sont intéressées à ces questions, relevant d’autres paramètres, que les théories rationnelles peuvent occulter. Aux États-Unis, par exemple, les femmes tendent à voter en plus grand nombre que les hommes, ce qui en fait un électorat choyé. En 2012 notamment, alors que Mitt Romney voyait le corps électoral féminin marié voter à 19 % de plus pour lui que pour Barack Obama, ce dernier recueillait chez les femmes célibataires, un avantage de plus de 33 % comparé à Romney. Des différences de genres semblent donc bien exister mais cela implique-t-il nécessairement des causes biologiques ?
Endocrinologie sociale
Cette vision est depuis longtemps défendue par les sciences cognitives qui prétendent que de nombreux aspects liés à l’appartenance groupale, à l’ethnicité ou aux émotions pourraient largement venir polariser le choix des électeurs. Kristina Durante a ainsi étudié l’impact du cycle menstruel sur les choix politiques et religieux.
Ses résultats ont indiqué qu’au moment de l’ovulation, les femmes célibataires avaient des opinions religieuses moins marquées, étaient plus à gauche sur les sujets sociétaux (mariage homosexuel, cannabis) et plus enclines à voter et à soutenir financièrement la campagne de Barack Obama de 2012 que les femmes célibataires en période de faible fertilité.
Inversement, les femmes en couple au moment de l’ovulation étaient plus religieuses, plus à droite et plus promptes à voter pour Mitt Romney en 2012 que celles en couples qui se situaient à un autre moment de leur cycle menstruel.
Méthodologie scientifique
L’étude de Durante a consisté, à travers deux études, à interroger au moyen de questionnaires en ligne des centaines de femmes américaines. En demandant aux participantes des informations personnelles, telles que la longueur de leurs cycles ou la date probable de leurs prochaines menstruations, les chercheurs ont pu estimer la position de chaque participantes sur leur cycle. Ils ont ainsi pu créer un groupe de femme dans la catégorie « haute fertilité » (situé entre les 7e et 14e jours du cycle menstruel) et un autre groupe dans la catégorie « basse fertilité » (du 17e au 25e jour).
En prenant en compte le statut relationnel des participantes (en couple vs célibataire), ils ont observé un effet de la fertilité et du statut relationnel sur les attitudes politiques liés aux thématiques sociétales comme l’avortement, le cannabis, le mariage gay ou les cellules souches (voir graphique ci-dessous).
En effet, les femmes célibataires se situant autour de l’ovulation au moment de l’étude étaient plus libérales (plus à gauche) que les femmes célibataires en période de faible fertilité. Inversement, les femmes en couples et en période de forte fertilité étaient, quant à elles, plus conservatrices (plus à droite) que les femmes en couple qui se situaient dans le reste du cycle le jour de l’étude.
Stratégies de reproduction et politique
Selon Durante, ces différences s’expliquent par des différences de stratégies sexuelles entre les femmes célibataires et les femmes en couple. L’ovulation, poussant les femmes célibataires à être plus ouvertes aux relations à court-terme, pourrait libéraliser leurs vues politiques pour faciliter ce genre de relations. À l’inverse, « puisque les valeurs religieuses et conservatrices sont associées aux relations à long-terme […] l’ovulation pourrait mener les femmes mariées à devenir plus religieuse et plus conservatrice pour promouvoir la stabilité relationnelle, l’engagement et la sécurité » prédit la psychologue américaine.
Plusieurs tentatives de réplication de cette étude ont mené à des résultats contrastés, attestant soit d’une relation plus subtile que prévue, soit de différences méthodologiques dans les questions politiques posées.
Réplications et futures recherches
Isabel Scott et Nicholas Pound de l’Université de Brunel à Londres ont, par exemple, tenté de reproduire ces résultats sur un large échantillon de plus de 2000 femmes. Ils ont cependant remplacé des questions portant sur des politiques sociétales actuelles (avortement, mariage gay) par un questionnaire sur les valeurs morales telles que l’autorité, la pureté, la loyauté aux groupes (typiquement prédictives du conservatisme politique).
Contrairement à l’équipe américaine, ils n’ont pas répliqué l’effet entre le niveau de fertilité, le statut relationnel et le conservatisme. Il se peut que les valeurs morales (l’autorité ou la pureté par exemple) soient stables dans le temps mais que l’opinion sur des sujets ancrés dans l’actualité (et sur lesquels les gens peuvent relater des expériences personnelles telles que l’avortement) varient suivant l’état cognitif, émotionnel et également hormonal.
Une autre équipe de l’Université de San Diego, menée par le Dr Harris, n’a répliqué que le pattern sur le vote mais pas sur les autres aspects politiques. Des études consistant à suivre les mêmes personnes durant une longue période et des expérimentations en laboratoire sont à encourager pour pouvoir trancher et affiner les résultats.
Hormones masculines et comportements politiques
Les hormones ovariennes ne sont pas les seules à faire débat en endocrinologie sociale. Hatemi et McDermott (2012) ont répertorié six hormones connues pour être liées à des comportements sociaux sous-tendant des facteurs de psychologie politique : la sérotonine, la dopamine, les monoamines-oxydases (MAO), l’ocytocine, la vasopressine et la testostérone.
Cette dernière est connue pour être présente en quantité considérablement plus importante chez les hommes que chez les femmes.
Hatemi et McDermott rappellent que la testostérone est notamment liée à des comportements agressifs et connaît des pics après une victoire lors d’une compétition par exemple.
Face à une menace, la testostérone est un bon prédicteur d’une réponse stressante rapide et d’une mauvaise régulation émotionnelle, prédicteurs fortement liés à une tendance au conservatisme.
Steven Stanton et ses collègues ont suivi les variations de testostérone de 183 Américains lors de l’élection présidentielle de 2008. Ils ont observé que les pro-Obama (vainqueurs) ont conservé un niveau de testostérone stable dans les jours suivant les résultats alors que les pro-McCain ont vu leurs niveaux baisser de manière importante 40 minutes après l’annonce des résultats. Les femmes, cependant, ont conservé les mêmes niveaux de testostérone peu importe le camp politique embrassé.
L’ensemble de ces travaux suggère que des influences subtiles peuvent parfois infléchir certains choix individuels dont les conséquences sociétales sont significatives. Il se peut que les mécanismes que l’on vient de mentionner jouent à la marge. Cependant, plusieurs de nos propres travaux ont indiqué un effet de la physiologie sur un certain nombre de conduites sociales. Il serait surprenant que la sphère politique soit un domaine entièrement à part chez les animaux biosociaux que nous sommes.
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
Mis à jour le9 mai 2017
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L'auteur
Doctorant en psychologie sociale
Ingénieur d'études en sciences sociales
Université Grenoble Alpes
The Conversation
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