Tendinites, douleurs à l’épaule chez les femmes : et si c’était le travail ?

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Des tensions excessives dans l'exercice de son métier peuvent être source de troubles musculo-squelettiques. Ici une infirmière aide un homme âgé à se lever © Lisa S / Shutterstock
Des tensions excessives dans l'exercice de son métier peuvent être source de troubles musculo-squelettiques. Ici une infirmière aide un homme âgé à se lever © Lisa S / Shutterstock
Les femmes sont plus exposées aux troubles musculo-squelettiques que les hommes. Mais elles ne font pas toujours le lien avec leur travail quand la douleur survient.
Douleur à l’épaule, tendinite au coude, engourdissement des doigts, bursite du genou : ces maux sont courants chez les femmes actives. Bien souvent elles incriminent leur âge, ou pensent présenter une vulnérabilité toute personnelle. Sans s’interroger sur leurs conditions de travail. Or ces maux qui touchent les articulations, les muscles et les tendons surviennent rarement par hasard ou par accident.

Les troubles musculo-squelettiques (TMS), de leur nom officiel, sont généralement liés à des gestes répétitifs, des postures inconfortables ou des tensions excessives. Ces problèmes sont bien connus des caissières de supermarché, par exemple, qui manipulent les articles à longueur de journée. Aujourd’hui, on ne leur demande plus de déplacer les packs d’eau, simplement de scanner l’étiquette. Mais dans beaucoup d’autres métiers exercés par les femmes, l’apparition de ces troubles n’a pour l’instant provoqué aucune remise en cause de la manière de travailler.

L’analyse fine des études disponibles permet de penser que les TMS sont sous-diagnostiqués, en France, chez les femmes. Ils résultent souvent d’un manque de réflexion sur l’adaptation du poste à la morphologie féminine. Et sont moins facilement reconnus au titre de maladie professionnelle, car les grilles d’analyses des situations de travail sont conçues essentiellement à partir de l’expérience des hommes.

Infirmière de nuit, dans un service en sous-effectif

Pour montrer à quel point la cécité est collective sur ce sujet, prenons le cas récent de cette soignante, Cécile (son prénom a été changé), âgée de 47 ans, qui a 20 ans d’ancienneté en milieu hospitalier. Avant d’intégrer l’hôpital public, elle travaillait comme aide à domicile pour les personnes âgées. Cécile est infirmière de nuit dans un service de gériatrie. La charge de travail est élevée, le service en sous effectif chronique. Le matériel nécessaire n’est pas toujours disponible. En raison de ces conditions de travail dégradées, il y a un fort taux de turnover dans l’équipe.

Cécile souffre d’une tendinite à l’épaule depuis deux mois. Elle s’ouvre auprès de son supérieur de ses difficultés à déplacer seule les patients âgés pour leur prodiguer les soins. Quand elle évoque cette douleur, elle en parle comme une pathologie liée à l’âge, à l’usure physique. Son encadrement met donc cette pathologie sur le compte d’une fragilité individuelle et ne pousse pas la réflexion plus loin.

Cécile prend des médicaments antidouleur et s’organise avec une collègue avec qui elle s’entend bien pour soulever à deux les patients les plus lourds. Mais cela ne suffit pas. Sa douleur à l’épaule augmente. Elle est arrêtée par son médecin durant plus de trois semaines. Au moment de reprendre son poste, elle voit le médecin du travail qui lui délivre une « restriction d’aptitude ». Ce document indique qu’elle ne peut désormais faire son travail que partiellement. Elle ne pourra plus être seule pour soulever les patients lourds.

Des facteurs de risque inconnus de la liste officielle

Sa pathologie n’est pas reconnue pour autant comme une maladie professionnelle, car les contraintes liées à son travail d’infirmière ne figurent pas dans la liste officielle des facteurs d’un risque de TMS. La législation française prévoit en effet des "tableaux" descriptifs pour chaque maladie, détaillant la nuisance prise en compte, les maladies ou symptômes liés à cette nuisance et le type de tâches exposant l’individu à celle-ci.

Cécile en vient à penser que son épaule est moins solide que celle des autres soignants. Son supérieur trouve désormais que les problèmes de santé de Cécile lui posent problème pour répartir équitablement la charge de travail au sein de l’équipe. Quant au médecin du travail, il estime que la pathologie de cette salariée relève de caractéristiques personnelles inadéquates. Ainsi, tous s’accordent pour dire que Cécile ne fait pas les bons gestes dans les tâches qui lui incombent. Personne ne remet en cause l’organisation du travail dans le service, ni les contraintes relatives à l’exercice du métier d’infirmière. Et encore moins les tableaux descriptifs des maladies professionnelles…

Les cas comme celui de Cécile ne sont pas pris en compte dans les statistiques. Globalement, en Europe, les femmes obtiennent moins de reconnaissance en maladie professionnelle de leurs TMS que les hommes, comme le montre les cas de l’Italie et de la Suisse ou les travaux de Laurent Vogel, chercheur à l’Institut syndical européen (ETUI) et à l’université Paris 13.

Trop peu de femmes dans les cas reconnus en maladie professionnelle

En France, le nombre de cas de troubles musculo-squelettiques reconnus en maladie professionnelle était en 2012 presque aussi élevé chez les femmes (26 438 cas) que chez les hommes (27 577 cas), selon l’étude réalisée par Florence Chappert et Patricia Therry, chercheuses à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail. Mais les femmes, plus vulnérables à ces troubles, devraient logiquement se trouver en plus grand nombre. Preuve que beaucoup de cas de TMS restent, chez elles, invisibles.

En France, comme ailleurs, la majorité des maladies professionnelles reconnues chez les femmes sont des TMS. Ces troubles sont en effet bien repérés aujourd’hui dans certains métiers comme femme de ménage, caissière, ouvrière de confection ou de montage de petits éléments. Mais une étude réalisée en 2009 par la chercheuse de l’université d’Ottawa (Canada) Katherine Lippel montre que les statistiques d’indemnisation des maladies professionnelles ne reflètent pas toutes les atteintes d’origine professionnelle. On peut donc penser que les cas reconnus ne sont que la partie émergée de l’iceberg des douleurs musculo-squelettiques.

Les troubles musuculo-squelettiques sont désormais bien repérés chez les caissières.


Les femmes et les hommes ne sont pas touchés par les TMS dans les mêmes circonstances. Car ils n’occupent pas, bien souvent, les mêmes emplois. Prenons l’exemple du syndrome du canal carpien, cette compression d’un nerf provoquant des douleurs au poignet. Chez les hommes, il touche 70 % des travailleurs dans les métiers de manutentionnaire, ouvrier en milieu industriels, artisan et agriculteur, selon une étude de 2006. Chez les femmes, il touche 70 % des travailleurs dans les métiers d’ouvrière d’assemblage de matériel, agricultrice et d’employée de commerce.

Douleurs aux épaules pour les femmes, lombaires pour les hommes

Il arrive, bien évidemment, qu’une tâche identique soit confiée aux hommes et aux femmes. Mais ils ne l’accomplissent pas de la même façon et ne peinent pas au même moment, en raison de leurs différences de morphologie et de physiologie. Dans le milieu de l’élevage par exemple, la traite des vaches expose les femmes à des douleurs au niveau des épaules lors du port des tuyaux à lait. Les hommes, eux, sont sujets à des douleurs lombaires lorsqu’ils se baissent pour placer les manchons trayeurs sur les pies de la vache.

Les femmes vont se préserver de cette douleur en modifiant leurs déplacements dans l’étable pour porter les tuyaux sans se fatiguer, tandis que les hommes vont chercher à se positionner différemment, par exemple en pliant les genoux pour ne pas forcer sur les muscles du dos. J’ai présenté ces résultats le 13 février à Bruxelles lors du colloque sur travail et genre organisé par l’Institut syndical européen (ETUI). Ils ont permis de mettre en place, avec la Mutualité sociale agricole, des formations spécialement destinées aux agricultrices.

La plupart des études sur la santé au travail ne prennent pas suffisamment en compte les effets de genre dans le risque et la prévention des TMS. Ainsi, les stéréotypes se construisent sur une connaissance biaisée des liens entre santé, travail et genre. Cela conduit à des erreurs de diagnostic de la part du médecin, à une cécité de l’employeur et de la salariée elle-même, comme dans le cas de Cécile.

Mieux répérer les contraintes au travail pour les femmes

Et si on cherchait à mieux connaître les véritables contraintes au travail pour les femmes. Beaucoup de facteurs de pénibilité reconnus concernent majoritairement les hommes : vibrations, bruit, chaleur, froid, expositions aux toxiques, radiations, charges lourdes, travail de nuit. D’autres facteurs, généralement à l’œuvre chez les femmes, sont moins repérables : la répétitivité, l’impossibilité d’interrompre son travail, un travail sous la pression avec des émotions qu’on empêche de s’exprimer – notamment dans les activités de service.

The ConversationEncore aujourd’hui, les troubles musculo-squelettiques chez les femmes sont trop vite mis sur le compte des hormones, de l’approche de la ménopause ou des tâches qu’elles accomplissent en plus à la maison, après leur journée de travail. Le défi sera de mieux comprendre, demain, la spécificité du travail des femmes dans cette répartition « genrée » de l’exposition au risque des TMS. Et de mettre en œuvre une prévention adaptée et équitable pour tous, hommes et femmes.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.




Publié le4 septembre 2017
Mis à jour le5 septembre 2017