The Conversation : "Comment expliquer les meurtres d’animaux ?"
Ces faits sordides ont engendré la propagation d’hypothèses hors du commun, comme celle d’une emprise sectaire des auteurs ou de liturgies sataniques. À l’exemple d’autres pays confrontés à des séquences de thériocides (ou meurtres d’animaux), comme des exécutions de chats autour de Londres durant les années 90 (finalement expliquées par des accidents de la route et des prédateurs) ou de chevaux en Angleterre ou en Allemagne, les hypothèses les plus variées ont percé.
Dans ces circonstances énigmatiques et confuses, il est utile de faire le point sur quelques connaissances fondamentales issues de la criminologie contemporaine pour éclairer ces conduites.
On peut, pour simplifier, regrouper les causes de ces violences en deux grandes catégories : les perturbations psychologiques individuelles, chroniques ou transitoires, et les normes culturelles.
Symptôme d’une souffrance psychique
Les conduites cruelles envers les animaux telles que la criminologie ou la psychiatrie les ont décryptées depuis les années 60 ont été le plus souvent conçues comme résultant de déficits psychiatriques ou neurologiques.
Par exemple, l’un des premiers modèles psychiatriques, la triade de Mc Donald, suggérait que la cruauté envers les animaux allait de pair avec l’énurésie (le fait d’uriner dans son sommeil après l’âge de 5 ans) et la pyromanie, et s’avérait prédictive de violences graves commises sur des humains.
Selon des sources policières, certains tueurs en série se distinguaient même par le fait qu’ils découpaient en morceaux des animaux en peluche durant leur enfance avant de martyriser de petits animaux vivants quelques années plus tard…
Les fragilités psychologiques des auteurs de violence envers les animaux ont également été récemment vérifiées en France dans une étude que j’ai menée auprès d’un large échantillon d’adolescents.
Ceux-ci sont apparus plus anxieux et dépressifs, avaient des liens sociaux plus ténus avec leur entourage, et étaient davantage auteurs de harcèlement scolaire.
Chez les adultes, une vaste étude épidémiologique menée aux États-Unis par Michael Vaughn auprès de 42 000 participants indiquait que ceux ayant commis des violences envers les animaux avaient plus souvent des troubles obsessionnels compulsifs ou des addictions au jeu ou à l’alcool.
D’autres travaux ont complété le tableau, pointant ici la psychopathie ou le narcissisme, là les déficits empathiques.
Mais les troubles psychiatriques ne sont pas une condition nécessaire pour massacrer des animaux.
Frustration et provocations nourrissent la violence
Selon une théorie cardinale en criminologie, la théorie de la tension, le risque de violence envers des animaux ou des humains croit dès qu’un individu se trouve dans d’impossibilité d’atteindre un but désiré, qu’une chose qu’il valorise particulièrement lui est retirée ou qu’il subit une expérience intensément déplaisante (frustration, provocation).
Par exemple, les élèves qui font l’expérience de fortes frustrations scolaires, qui éprouvent un sentiment d’injustice vis-à-vis des autorités ou qui sont victimes de harcèlement commettent davantage d’actes de cruauté envers des animaux.
De manière plus occasionnelle, lorsqu’un animal endommage des biens, provoque des blessures ou représente une source d’irritation, celui-ci peut subir des sévices en retour. Les animaux sont également victimes d’un déplacement de l’agression quand l’individu n’a pas la possibilité de manifester son hostilité directement à une source de frustration qu’il craint ou ne peut atteindre.
Par exemple, après une entrevue défavorable avec un supérieur hiérarchique, l’individu donne des coups de pied à son chien qui l’importune.
Dans cette veine, le criminologue Piers Beirne a évoqué des cas d’actes de cruautés commis par des personnes en charge des chevaux et qui s’en prenaient indirectement à leurs propriétaires en blessant leurs animaux par vengeance de classe ou hostilité personnelle.
Enfin, on peut ajouter que l’expérience d’une menace matérielle ou physique peut également déclencher des conduites violentes. Par exemple, les 20 000 morts annuelles qui sont dues aux morsures de serpents dans le monde concourent peu à traiter les reptiles avec indulgence.
Les espèces qui compromettent les récoltes ou l’élevage, sitôt placées (légitimement ou non) dans la catégorie des animaux « nuisibles » ou « dangereux », peuvent déchaîner des mesures coercitives et létales qui, si elles ne sont pas sadiques, ont tout de la cruauté par leurs effets sur les victimes animales.
Des animaux sacrifiés pour le 7ᵉ art
Il pourrait être confortable de croire que l’élucidation des actes de cruauté est terminée une fois pris en compte les désordres psychologiques et les pertes de contrôle occasionnelles résultant de frustrations ou de menaces, ou lorsqu’est invoquée la défense de ses biens matériels ou de sa propre vie.
Or, une autre ligne explicative souligne que la cruauté envers les animaux n’est pas seulement le fait de personnes déviantes ou de circonstances exceptionnelles mais est structurelle et inhérente aux pratiques historiques d’exploitation des animaux.
Retenons ainsi l’exemple du cinéma.
Bien avant que le label « aucun animal n’a été blessé pendant le tournage » n’apparaisse durant le générique des films (parfois trompeusement), le 7e art a fait s’écraser au sol des chevaux jetés du haut d’une falaise, décapité des singes, massacré des lapins et même électrocuté un éléphant sans autre finalité que le divertissement.
En 2013 le journal Le Matin rapportait ainsi que plus de « vingt moutons ou chèvres sont morts pour le « Hobbit » de Peter Jackson ».
L’importance des événements de maltraitance dans le contexte de l’industrie du loisir – ce sujet pourrait être étendu à la question des combats de chiens ou de coq, ou de la corrida, qui tue 40 000 taureaux chaque année eu Europe, et dont l’on tranche l’oreille comme aux chevaux actuellement martyrisés en France – oblige à considérer sous un autre angle la cruauté envers les animaux.
Une acculturation sociale fondée sur le mépris des animaux
Cette cruauté, alors, ne relève foncièrement pas d’une psychopathologie individuelle, et ne résulte pas plus de frustrations ou de circonstances menaçantes.
Elle représente simplement la conséquence d’une acculturation sociale au mépris des animaux (que l’on appelle la misothérie), héritage persistant de l’anthropocentrisme chrétien et de l’humanisme métaphysique.
La place subordonnée qui leur est réservée et les traitements qu’il est légitime de leur faire subir ou non sont appris durant la socialisation des individus, par exemple par l’exposition à des exemples directs. Ainsi, les enfants témoins de violence commises envers des animaux sont 3 à 8 fois plus enclins à les maltraiter par la suite.
Des mécanismes de mimétisme font donc partie des causes qui peuvent être raisonnablement invoquées dans le cas des vagues de mutilations.
On peut ajouter que l’immersion dans des discours quotidiens (dans la famille, à l’école, dans les médias) et des pratiques instituées qui dénotent de multiples manières le rang subalterne accordé aux animaux et les représentations fausses les concernant contribuent à éroder la valeur qui leur est attribuée.
Cet ethos spéciste trace ainsi les limites indélébiles de l’empathie, dressant et justifiant des frontières infranchissables entre le monde humain et le monde animal, tout en imprimant entre ces derniers une hiérarchie selon leur proximité évolutive avec les humains ou en fonction des charges matérielles ou affectives dans lesquelles ils sont confinés.
Le poids de la valeur attribuée aux animaux
Cette considération sélective est illustrée dans une étude de Scott Plous, de l’université de Wesleyan.
Ce chercheur a constaté que des participants auxquels l’on montrait des films d’animaux en train de souffrir éprouvaient d’autant moins de stress physiologique (évalué au moyen d’une mesure de l’humidité de la peau) que ceux-ci étaient phylogénétiquement éloignés des humains c’est-à-dire placés plus ou moins loin dans le système de classification des êtres vivants.
Une telle destitution morale des animaux n’est pas indépendante des cruautés commises envers eux.
Dans l’étude réalisée en France et qui portait sur 12500 adolescents, ceux-ci devaient se prononcer sur la valeur des animaux par rapport à celles des êtres humains.
On leur demandait également s’ils étaient favorables à ce que l’on sacrifie des souris et des rats pour la recherche scientifique ou s’il était acceptable de faire souffrir des animaux durant des expériences ayant pour but de soigner des maladies.
Les réponses à toutes ces questions étaient statistiquement prédictives du nombre d’actes de cruauté commis par les adolescents.
Ce lien était robuste et indépendant du sexe, de l’âge et de nombreuses autres variables psychologiques mesurées dans l’étude. Fait intéressant, les adolescents qui étaient le plus intégrés au monde scolaire adhéraient légèrement davantage que les autres à une représentation spéciste, ce qui confirme qu’elle participe aujourd’hui d’une vision du monde qui n’est pas socialement inadaptée.
On a cité plus haut l’exemple du cinéma pour illustrer l’existence de cruautés inhérentes à des pratiques pourtant socialement légitimes.
Il existe bien d’autres sphères d’activité humaine dans lesquelles les cruautés font le quotidien des animaux, sont commises par des personnes ordinaires et sont institutionnalisées, voire industrialisées.
Résumons simplement en rappelant que les cruautés commises sur des animaux relèvent dans certains cas de perturbations individuelles ou de circonstances particulières. Cependant, bon nombre des conduites cruelles touchant les animaux sont systémiques et exercées sans malignité particulière de la part de leurs auteurs, qui les commettent avec l’assurance d’avoir affaire à des êtres inférieurs et de ne faire que leur métier.
Mis à jour le11 septembre 2020
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L'auteur
Professeur de psychologie sociale, Membre de l'Institut universitaire de France (IUF)
Directeur de la MSH Alpes (CNRS/UGA)
Université Grenoble Alpes (UGA)
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