La grève par rétention de notes menée par des enseignants mécontents de la « réforme Blanquer » repose la question de l’intérêt du contrôle continu dans le cadre d’un examen tel que le baccalauréat.
Par-delà la polémique suscitée par la
« solution technique » inventée par le ministre pour résoudre le problème qu’il devait affronter, on peut saisir l’occasion de cette irruption surprise pour tenter d’examiner sereinement cette question.
Habile parade du ministre
Pressé par les événements, le ministre a dû se résoudre à prendre en compte « provisoirement » le contrôle continu (moyenne des notes obtenues dans la discipline sur les trois trimestres de l’année), lorsque la note terminale faisait défaut par suite de la grève. Cela a donné au contrôle continu (CC) une occasion inattendue de faire reconnaître son utilité.
La parade du ministre est habile. Elle prend les contestataires à contre-pied. Car c’est pour protester contre une réforme du bac qui, entre autres, attribuait au contrôle continu 40 % de l’évaluation finale, que certains professeurs se sont lancés dans une grève des notes. Or, le ministre neutralise les effets de leur action en recourant à l’objet de leur courroux !
Cette « solution technique » a l’avantage de ne pas être défavorable aux élèves. In fine, seule sera retenue la meilleure des deux notes : soit celle du CC prise provisoirement en compte ; soit celle du contrôle terminal (CT) enfin parvenue au jury. Ce dispositif ne mériterait-il pas alors d’être pérennisé ?
Les risques du contrôle continu
Ceux qu’avait surpris, voire sidérés, le contrepied du ministre, ont unanimement dénoncé une rupture d’égalité, entre élèves ayant obtenu un bac lié aux épreuves finales, et élèves n’ayant qu’un bac lié au contrôle continu, et donc, dans leur esprit, de moindre valeur. Mais que peut-on reprocher, exactement, au contrôle continu ?
On peut évoquer trois grands reproches. Le premier, et le plus courant, est que le contrôle continu introduit les aléas du « localisme » dans un examen national. Le bac doit être le même partout. Mais l’unicité d’une épreuve garantit-elle l’identité recherchée ? Et les correcteurs ne sont-ils pas différents d’une ville, et d’une région, à l’autre ? L’égalité que garantirait le contrôle terminal n’est en réalité qu’une fiction.
Le deuxième reproche, plus consistant, est que le contrôle continu intervient, par définition, avant la fin de la « formation ». Il serait donc foncièrement injuste, puisqu’il contrôle les effets d’une formation avant qu’on ait donné aux candidats toutes les chances de maîtriser ce qui sera l’objet du contrôle.
Mais, pour obtenir son permis de conduire, on peut valider le code plusieurs mois avant la conduite. Le contrôle continu peut avoir valeur certificative, s’il survient au terme d’une unité d’enseignement que l’on peut légitimement autonomiser (ex : à la fin d’un chapitre ou d’une grande partie du programme). Platon disait qu’il faut découper les poulets selon leurs articulations naturelles !
Enfin, on peut reprocher au contrôle continu de court-circuiter l’examen, en rendant inutile la note terminale, ce qui équivaut à en dénier la valeur. Mais il faut noter que, dans le cadre du dispositif « Parcoursup », les écoles et universités choisissent leurs futurs étudiants avant qu’aient été passées les épreuves terminales ! Celles-ci n’ont de fait pour rôle que de confirmer, et valider a posteriori, des choix fondés pour l’essentiel sur des résultats de contrôle continu…
Les limites du contrôle terminal
C’est pourquoi, parallèlement, la croyance en la valeur immédiate d’un examen terminal mérite d’être interrogée. On peut faire, à cet égard, deux grandes observations. La première est qu’un examen terminal, a fortiori lorsque seuls ses résultats sont pris en compte, est une épreuve « couperet ». Il n’y a plus ni droit à l’erreur, ni possibilité de rattrapage. L’équité d’une telle épreuve n’est jamais assurée.
Car, et c’est la deuxième observation, avec une seule épreuve terminale par discipline, le champ de probation offert aux lycéens est particulièrement étroit. Le jury peut-il, sur cette seule épreuve, dire avec certitude, si, oui ou non, une connaissance ou une compétence est maîtrisée, d’une façon générale, et pérenne ?
La ou les compétences dont la maîtrise est visée auraient pu se manifester de façon plus claire et indiscutable, à d’autres moments, et dans d’autres épreuves, plus variées, et plus ouvertes.
Ni sanctification, ni diabolisation
Finalement, la question à trancher est de savoir si le bac peut reposer uniquement sur des épreuves terminales. L’enjeu est de concilier l’intérêt des élèves qui sont candidats, avec celui de la société qui délivre des diplômes. Le bac est un permis d’entrer dans des formations diplômantes, voire directement sur le marché du travail.
L’intérêt des candidats à ce permis est d’être traités équitablement, en faisant leurs preuves sans être victimes de la dimension de loterie inhérente à toute épreuve ponctuelle. D’où l’utilité d’une part significative de contrôle continu, leur permettant d’avoir toutes leurs chances de montrer ce dont ils sont capables.
L’intérêt de la société est de s’assurer que le diplôme qu’elle délivre atteste vraiment d’une palette, et d’un niveau, de connaissances et de compétences. D’où l’utilité d’une part significative de contrôle terminal, avec choix rigoureux des situations de probation (épreuves communes d’évaluation), et cadrage rigoureux de la « lecture évaluative » que les examinateurs feront des travaux produits par les candidats.
Aucune des deux modalités d’évaluation ne mérite d’être sanctifiée, ni inversement diabolisée. Finalement, la difficulté est ici de comprendre que tout contrôle est à la fois continu et terminal. Terminal, car il vient nécessairement après une séquence d’enseignement ou de formation. Continu, car il s’insère dans le temps plus long d’une activité visant un but.
Il s’agit bien de savoir si, à la fin, le but est atteint. Contrôle continu et contrôle terminal doivent donc être mis en œuvre, non en fonction de ce qui serait un intérêt intrinsèque, mais en fonction de la façon dont ils éclairent, ou non, l’atteinte du but que l’on poursuivait. De ce point de vue, le contrôle terminal n’est que le point ultime d’un contrôle continu.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.