L’"école du socle" a fait l’objet d’un certain nombre d’expérimentations mais les établissements publics des savoirs fondamentaux de la loi Blanquer soulèvent de multiples critiques. Explications.
Pour le rapporteur de la loi Blanquer au Sénat, « l’école du socle est un beau sujet, qui mérite d’être discuté ». Beau sujet donc qu’une structure couvrant tous les niveaux de la scolarité obligatoire et les savoirs fondamentaux, mais sujet trop explosif ?
Comment comprendre que la perspective d’une telle école, naguère favorablement envisagée par la gauche, avant d’être apparemment abandonnée, soit l’objet de violentes critiques quand elle refait brutalement surface sous la forme de l’Établissement public des savoirs fondamentaux (EPSF), regroupant un collège et une ou plusieurs écoles primaires voisines ?
Un texte « technocratique » ?
Les critiques concernant les EPSF formulées par les personnels, leurs syndicats, et certains hommes politiques, sont doubles. Elles portent à la fois sur les conditions d’émergence et d’adoption de l’amendement parlementaire, aussi bien que son contenu. L’amendement parlementaire a été adopté « au bulldozer », par un procédé ingénieux, mais d’« une rare violence », car laissant sur la touche tant les organisations professionnelles, que les élus locaux, et le Conseil d’État.
Cette absence de concertation et de dialogue est jugée d’autant plus regrettable que cette création semble de nature à « dynamiter » l’école républicaine. En effet, le texte proposé, perçu comme « technocratique », et déconnecté des préoccupations concrètes des acteurs du terrain, fait peser une menace directe sur les directeurs d’école, remplacés par des principaux adjoints.
Et, surtout, on le soupçonne de privilégier des objectifs gestionnaires, dans une perspective de réduction de coûts, en légitimant des « fusions » qui se traduiraient par de nombreuses fermetures de classes. L’EPSF ne serait donc, au mieux, qu’un avatar malheureux de la belle idée d’école du socle ?
Des obstacles territoriaux
La loi Fillon du 23 avril 2005, pour la première fois, fixait pour objectif à la scolarité obligatoire l’« acquisition d’un socle commun… qu’il est indispensable de maîtriser ». Dans la logique de l’élaboration consensuelle de ce socle commun de connaissances, de compétences, et de culture, nombreux étaient les esprits affirmant les atouts d’une école du socle, expression couramment utilisée depuis 2011.
Il s’agit, comme le rappelle l’« exposé sommaire » de l’amendement voté le 30 janvier 2019, « de faciliter le parcours et le suivi individuel des élèves de la petite section à la troisième ». De construire un continuum de scolarité obligatoire, certes scandé par deux temps (primaire, puis collège), mais permettant de surmonter sans trop de mal la triple rupture cognitive, pédagogique, et éducative, que constitue le passage du CM2 à la sixième (rapport « Terra Nova » du 6 mars 2014).
Le regroupement d’écoles et de collèges a fait l’objet d’expérimentations déjà nombreuses, et positives. Mais, si l’école du socle est pour certains « l’école de demain », ne s’est-on pas enthousiasmé trop vite, tant les obstacles pouvaient être nombreux sur le chemin d’une école apportant, selon le mot d’une directrice, une « plus-value pour tous » ? Cela fait plusieurs décennies que la volonté de construire une « école fondamentale » pour la scolarité obligatoire vient buter sur les intérêts catégoriels et les partis pris idéologiques.
C’est que l’entreprise est difficile. Elle croise des problèmes pédagogiques, institutionnels, et territoriaux. Il s’agit d’homogénéiser, à partir de réalités très hétérogènes. Le primaire et le secondaire constituent deux mondes différents. Certes, les instituteurs sont devenus des professeurs des écoles. Mais il y a toujours deux cultures différentes, deux entités administratives distinctes, deux systèmes d’obligation de service, deux séries d’identités sociales et professionnelles. Et il faut faire face à de difficiles exigences d’aménagement équitable du territoire.
Quels défis ?
Si l’échec n’est pas une fatalité, la réussite exigera de nombreux efforts. Pour que l’école du socle devienne un jour réalité, il faudrait que l’ensemble des acteurs soit capable de surmonter trois défis.
Le premier est de dépasser les intérêts catégoriels, ou politiques, en prenant pour boussole l’intérêt des élèves. Oui ou non, les élèves tirent-ils majoritairement profit d’une école du socle ? Les expérimentations incitent clairement à répondre oui. Renoncer serait donc une faute.
Le deuxième est de pouvoir dépasser une vision strictement disciplinaire du travail d’instruction publique, en comprenant que chaque discipline, au-delà de sa simple technicité spécifique, contribue à l’effort d’éducation, et que l’« instruction » obligatoire concerne aussi les compétences (voire, selon le mot d’Amartya Sen, les « capabilités »), et la culture. D’où la nécessité d’articuler les programmes disciplinaires et le « socle commun ».
Le troisième, de repenser les schémas d’autorité en vigueur dans l’éducation nationale, en fonction des nécessités fonctionnelles, et non des seuls statuts institutionnels. Concrètement : ne pas être prisonnier d’un schéma de pilotage vertical et hiérarchique de l’école par le collège. Savoir donner aux directeurs d’école un rôle et un statut à la hauteur de l’autorité symbolique qui est, localement, la leur. Il faut des autorités « sur place », à la juste place.
À cette triple condition, l’école du socle pourrait devenir réalité, pour le plus grand bien des élèves, en échappant à la malédiction qui semble la frapper.
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