Depuis 20 ans, certains auteurs et autrices de livres jeunesse ont mis les stéréotypes et les identités sexuées au centre de la narration. Quelques exemples pour toutes les tranches d’âge.
À la fin du XXe siècle, Harry Potter de J. K. Rowling s’imposa comme une référence dans le monde du livre de jeunesse, tout en en bousculant les codes. Même si les personnages féminins ont toujours eu leur place dans cet univers éditorial – on peut penser à des héroïnes comme Alice, les filles du Docteur March, Heidi, Fifi Brindacier ou Mary Poppins, l’œuvre de Rowling franchit un cap en développant des personnages qui brisaient sciemment les stéréotypes de genre.
Citons Molly Weasley, présentée comme une mère poule conventionnelle mais qui se révèle à la fin de la série être une sorcière d’une très grande puissance, capable de vaincre Bellatrix Lestrange, alliée du terrible Voldemort. Une sorcière qui fait preuve d’une violence inouïe, aux antipodes du cliché de la femme naturellement tendre et douce. Elle n’hésite pas à torturer des enfants ni à proposer de sacrifier les siens.
Le personnage d’Hermione Granger, la meilleure amie de Harry et Ron, offre aussi une vision non-conventionnelle de la féminité. Plus intelligente que les deux garçons, celle-ci conteste les rôles stéréotypés : elle dénie être responsable de la cuisine dans le septième tome, elle refuse de rester derrière quand Ron et Harry rencontrent des situations périlleuses (alors que ceux-ci lui demandent régulièrement de ne pas prendre part aux combats) et elle prend les devants politiquement.
Même si, concernant les questions de genre, Harry Potter rebat les cartes, comme d’autres fictions pour la jeunesse telles que Rebelle ou encore Zootopie, ce thème n’est pas l’angle d’approche principal de la série. Mais, depuis 20 ans, certains auteur·e·s et ouvrages jeunesse ont mis les stéréotypes et les identités sexuées au centre de la narration. Ces œuvres présentent des enfants qui s’insurgent contre les normes imposées. Plutôt que de proposer une vision univoque du monde, elles amènent les jeunes lecteurs et lectrices à interroger la société qui les entoure.
La question du genre et des stéréotypes touche en effet de nombreux domaines : la politique, la question du pouvoir et de la domination, le partage équitable des tâches et des salaires, la qualité de vie, les opportunités de carrière, etc. Des ouvrages tels que Dans la peau d’une fille d’Aline Méchin ou L’imagier renversant de Sebastien Tellschi ont fait figure de précurseurs dans ce thème qui se développe de plus en plus de nos jours.
Jeux de filles, jeux de garçons ?
Dans J’aime pas les bébés, d’Isabelle Minière (2015), Ludi est une petite fille qui n’aime pas les jouets de fille (ni les bébés), et son frère, Colas, n’aime au contraire que les jouets de fille. Narré du point de vue Ludi, ce livre présente les difficultés que rencontre la petite fille au quotidien et les stratégies qu’elle et son frère développent pour faire changer les adultes d’idées. Les deux enfants vont en effet devoir argumenter pour convaincre leur entourage que les filles peuvent ne pas aimer le rose ni les poupées et que les garçons en ont le droit.
Une question similaire se pose dans Le problème avec le rose, une pièce de théâtre d’Erika Tremblay-Roy sortie en 2018. Quatre garçons se retrouvent dans une situation épineuse dont ils vont devoir se sortir par la logique et le jeu. À partir de l’enjeu d’une couleur (le rose), cette pièce questionne les poncifs et les préjugés liés à l’identité masculine/féminine.
Même si la pièce ne présente aucun personnage féminin, le dialogue entre les quatre garçons va les pousser à réfléchir sur leur place dans la société et si les préjugés des adultes (« le rose c’est pour les filles ») ont leur place dans leur monde imaginaire et réel. De la même façon que pour l’ouvrage précédent, ce sont les enfants qui vont aller à l’encontre de la parole adulte pour l’interroger et la remettre en question. Après avoir été jouée au Québec, cette pièce arrive en 2020 en France.
Les albums jeunesse, de manière plus marquée que les récits filmiques, développent un discours quasi didactique quant à la remise en cause de ces mêmes stéréotypes. Par exemple, de nombreux ouvrages inversent les rapports sociaux et culturels entre le féminin et le masculin.
Pour les tout-petits, L’imagier renversant de Sebastien Telleschi, sorti en 2006, suggère l’inversion des rôles des femmes et des hommes à partir des objets du quotidien (les gants de vaisselle sont portés par un homme alors qu’une femme porte ceux de boxe, pareil pour le fil à couture versus le fil en chirurgie). À travers les images et le texte, l’enfant apprend à ne pas associer les objets avec un genre particulier mais découvre que les objets peuvent être utilisés par tout le monde.
Enjeux de pouvoir
Accessible à partir de la fin de l’école primaire, l’ouvrage de Florence Hinckel, Renversante met en scène Léa, l’héroïne, qui habite un monde parallèle où les femmes ont le pouvoir et où tout est au féminin. De la « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » à « la femme préhistorique » en passant par Batwoman, les femmes ont l’hégémonie culturelle, politique et grammaticale, ce qui nous invite à questionner la hiérarchisation entre les femmes et les hommes ainsi que la visibilité des un·e·s et des autres dans l’espace public, dans le sillage des ouvrages de Françoise Héritier et de Camille Froidevaux.
Dans d’autres ouvrages, visant les contre-pieds, le héros masculin évolue dans un monde qui lui est inconnu avec des codes vestimentaires, culturels et linguistiques différents. Dans la peau d’une fille d’Aline Méchin (2002) et Garçon ou fille de Terence Blacker (2004, traduit par Stéphane Carn) jouent sur ces travestissements subis pour dénoncer les stéréotypes de genre.
Alors que les deux garçons (Chris dans l’ouvrage de Méchin et Sam dans celui de Blacker) et leurs amis commencent par dénigrer l’univers féminin, leur passage forcé de l’autre côté du miroir leur permet de remettre en question leurs préjugés initiaux. La découverte du nouveau monde féminin est accompagnée d’humour via de nombreux quiproquos. La polyphonie narrative de Garçon ou fille crée une lecture dynamique invitant à questionner ses propres préjugés.
Des livres pour les adolescents
Pour le lectorat adolescent, dans Tous les garçons et les filles de Jérôme Lambert (2003), Julien, un élève de seconde, ne se reconnaît pas dans ses pairs qui ne s’intéressent qu’au foot et aux filles. Ses choix et ses rencontres vont lui permettre de se positionner socialement et d’interroger les idées préconçues sur les rapports entre les garçons et les filles.
Cet ouvrage interroge subtilement les questions d’amour et d’amitié entre les adolescents, en tissant une relation étroite entre Julien et un nouvel élève, Clément. Cette nouvelle amitié est vite teintée de sentiments amoureux. L’histoire trace l’évolution du héros, qui tente tout d’abord de réprimer ses sentiments avant de commencer à prendre le chemin de l’acceptation.
Récemment émergent en littérature de jeunesse des problématiques jusqu’ici occultées. Par exemple celle du harcèlement apparaissant comme constitutif de la fabrication de l’identité du personnage féminin héroïque, comme un incontournable ou comme une permanence du parcours d’apprentissage pour l’héroïne.
Dans la série Le Pacte des Marchombres, de Pierre Bottéro, l’héroïne Ellana développe tout au long du récit des stratégies pour faire face au harcèlement et déjouer la violence masculine.
Ainsi, la littérature de jeunesse dans les questions de genre comme ailleurs, propose bien « ce grand détour des œuvres de cultures pour rentrer chez soi », selon les mots de Paul Ricœur.
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