The Conversation : "L’hypothèse des tiers lieux culturels"
Définir, recenser et cartographier
Porté par l’AVITEM (Agence des Villes et Territoires Méditerranéens Durables) et plusieurs partenaires européens – Barcelona Activa SA SPM (Espagne), IRIS Research Institute s.r.l (Italie), Conseil Régional Sud Provence-Alpes-Côte-D’azur (France), Zagreb Development Agency (Croatie), Barcelona International Business Incubator (Espagne) – le premier objectif du projet a été de définir la notion d’espace de coworking. Après de nombreux échanges, notamment quant à la place de la notion de territoire, les partenaires se sont accordés sur la définition suivante :
« Un espace de coworking est un espace physique dont l’objet est de construire et de mettre en œuvre une dynamique communautaire entre des usagers souhaitant bénéficier des relations collaboratives, ouvertes et durables. Pour atteindre ces objectifs, les espaces de coworking organisent des évènements et des activités favorisant les échanges et les apprentissages mutuels et en développant des interactions avec d’autres centres ou services. »
À partir de cette définition, les partenaires ont cherché à recenser les espaces de coworking grâce à la mise en œuvre d’une cartographie collaborative. Plus de 320 espaces de coworking ont été identifiés sur les territoires du projet COWORKMed, avec une forte concentration en Catalogne (plus de 150 espaces). La création de ces espaces est récente (depuis 2012) et majoritairement portée par des acteurs privés (66,7 %). Ces espaces représentent 2,3 % des espaces de coworking à travers le monde (COWORKMed, 2018).
Ce travail de recensement a permis de prendre conscience de l’extrême diversité des espaces de coworking, qui se déploient sous des formes multiples : fab lab, maker spaces, living labs, tiers lieux, business factory, laboratoires d’innovation publique, etc. Les partenaires du projet ont par conséquent décidé de ne pas figer la notion de coworking pour la laisser ouverte à de nouvelles opportunités, en lien notamment avec le développement des tiers lieux. Le nombre de tiers lieux devrait en effet croître dans les prochaines années en lien avec la croissance continue des indépendants, la transformation des économies (économie de la connaissance, économie collaborative, économie numérique…) et l’émergence d’un cadre incitatif et normatif favorisant le télétravail.
Identifier les externalités et les besoins des tiers lieux
Un second objectif de l’étude consistait à identifier les bénéfices socioéconomiques, environnementaux et territoriaux de coworking spaces. Des rapports ont été produits démontrant de la capacité des tiers lieux à augmenter la production et la performance des entreprises, des salariés et des collaborateurs. Ils autoriseraient également un accroissement de la qualité de vie, tout en stimulant les transformations du marché du travail, [ les collaborations et les processus d’innovation. D’autres études ont cherché à objectiver l’apport des tiers lieux sur la réduction des distances de déplacement domicile-travail, les émissions de gaz à effet de serre ou la diminution de la charge des transports publics en période de forte affluence.
Pour accroître cet impact des tiers lieux sur les territoires, l’étude COWORKMed a aussi fait part de la nécessité de structurer une action publique en faveur de la création et du développement des tiers lieux. Les porteurs de projet ont souvent exprimé des besoins en termes de régulation, de mise en réseau et d’accompagnement financier et méthodologique. Du point de vue des méthodes, les responsables des coworking spaces et les acteurs publics semblent insuffisamment outillés pour mesurer les externalités des tiers lieux.
Les études produites sur les externalités s’appuient encore davantage sur des hypothèses que sur des données quantitatives et qualitatives, à même d’évaluer et d’objectiver les phénomènes observés. Par ailleurs, des besoins en termes de structuration des réseaux de tiers lieux sont apparus, afin de mutualiser les ressources et d’accroître la visibilité et l’attractivité des espaces de coworking. Il semble indispensable d’accompagner le développement des réseaux de tiers lieux à l’image des réseaux European Coworking Network, Cowocat (Associaci – Coworking de Catalunya) ou Cowopy (Coworking Pyrénées). Précisons que ces deux derniers réseaux ont été eux-mêmes des projets européens à « durée limitée ».
Enfin, l’étude a démontré de la nécessité d’accroître l’ancrage des tiers lieux dans leurs écosystèmes territoriaux et d’innovation. La performance des tiers lieux est selon l’économiste Raphaël Suire fortement dépendante de leur capacité à s’encastrer dans les territoires. Une perspective qui reste à conforter et à coupler avec l’enjeu du maillage des territoires et de développement de tiers lieux dans les circonscriptions de plus faible densité (espaces ruraux et périurbains). À l’exception de la région PACA, les tiers lieux des régions CoWorkmed sont, pour plus de 80 % d’entre eux, implantés dans les agglomérations.
Préfigurer une action publique européenne
À travers l’organisation de différents ateliers à Zagreb, Florence, Marseille et Barcelone, un troisième objectif du projet COWORKMed a consisté à penser une action publique européenne favorable aux tiers lieux. Quelle politique publique mettre en place pour accompagner des espaces multifonctionnels et intermédiaires, fonctionnant souvent avec des modes d’organisation horizontaux ? De ce point de vue, quatre grands chantiers ont été identifiés :
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Accompagner la création et le développement de coworking spaces dans les territoires de faible densité (aide à l’amorçage des projets, subventions à l’investissement attribuées après appels à projets et en complément d’aides régionales, etc.). L’effet levier des espaces de coworking pour le développement de ces territoires peut s’avérer déterminant et notamment du point de vue de la réduction des déplacements domicile-travail, et de la revitalisation de territoires périphériques et de centre-bourgs (faire vivre des services de proximité en retenant/attirant les travailleurs indépendants, salariés ou néo-ruraux sur les territoires).
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Accompagner la création et le développement de réseaux de coworking spaces et de tiers lieux à l’échelle méditerranéenne, afin de mieux connecter les tiers lieux entre eux et avec leurs écosystèmes territoriaux et d’innovation, les outiller (mutualisation des méthodes), les rendre davantage lisibles et visibles par une communication commune et ciblée, et stimuler la demande par des actions des lobbying (par exemple, la sensibilisation des employeurs aux pratiques du télétravail). À terme, une réflexion sur la création d’un label « tiers lieux méditerranéens » pourrait être ouverte.
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Faire des tiers lieux des supports d’une politique publique européenne plus agile et plus proche des territoires et des citoyens. Les tiers lieux peuvent constituer des espaces privilégiés pour co-construire et tester de nouvelles politiques publiques européennes. Par ailleurs, une réflexion pourrait être ouverte quant à l’usage des espaces de coworking par les agents de l’Union européenne et ses partenaires, afin d’intégrer une culture des tiers lieux au sein même des administrations de l’UE (travail collaboratif, gouvernance horizontale, culture numérique…).
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Lancer un appel à projet européen pour soutenir les espaces de coworking et les tiers lieux ayant un impact direct sur les transitions, qu’elles soient économiques, numériques, écologiques, sociales, organisationnelles ou encore territoriales.
On le voit, ces différents chantiers ont été pensés dans le cadre d’une action publique européenne facilitatrice et non prescriptrice. L’état d’esprit des tiers lieux semble en effet peu compatible avec la conception d’une politique publique verticale et descendante, où l’acteur public aurait un rôle central en termes d’impulsion, de coordination, de labélisation, de financement et d’arbitrage.
L’enjeu est moins d’affirmer une politique de planification top-down d’espaces de coworking, qu’une action publique à-même de créer les conditions d’émergence et de développement de coworking spaces, et de s’inscrire dans « intervention de type environnementale », pour reprendre une formule de Michel Foucault. Un autre enjeu est de traiter de manière concomitante les questions d’innovation sociale et organisationnelle au sein de l’UE et celles que l’UE promeut sur les territoires à travers ses politiques publiques. À cet égard, l’usage régulier des tiers lieux par les agents de l’UE, pourrait permettre d’accompagner l’Union européenne dans la transformation de ses postures et de ses modes de faire.
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
Mis à jour le5 juin 2018
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L' auteur
Raphaël Besson
Université Grenoble Alpes
Chercheur associé au laboratoire PACTE
Directeur de l'agence "Villes Innovations"
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