The Conversation : "La PrEP, un outil supplémentaire majeur pour mettre fin à l’épidémie de VIH"
Elle coïncide avec le déploiement, au sein de la communauté gay de la capitale (comme dans d’autres régions), de la prophylaxie pré-exposition anti-VIH, ou PreP (de l’anglais « Pre-exposure Prophylaxis »). Disponible en France depuis janvier 2016, cette méthode de prévention consiste à prendre des médicaments antirétroviraux afin d’éviter l’infection lors de rapports sexuels à risque. Près de quatre ans après sa mise en place, que peut-on dire de cette approche ?
Maintenir le virus sous contrôle
Les premières trithérapies anti-VIH ont été disponibles en 1996. Près de 25 ans plus tard, l’efficacité des associations de traitements antirétroviraux disponibles s’est accrue, et ces traitements ont par ailleurs beaucoup gagné en facilité de prise (le plus souvent un comprimé par jour), et en termes d’effets indésirables.
Cette efficacité et cette simplicité a conduit à proposer en France un traitement à toute personne chez qui un diagnostic d’infection par le VIH vient d’être posé.
Ces traitements permettent de contrôler l’infection dans l’organisme avec une grande efficacité, et il apparaît probable que les personnes qui les reçoivent auront une durée de vie identique à celle qu’elles auraient eue sans le virus (pour autant qu’elles soient traitées avant d’atteindre un stade évolué de l’infection, tel qu’on l’observe après une dizaine d’années en médiane).
Ils permettent par ailleurs d’annihiler en quelques mois tout risque de transmission (de la mère à l’enfant pendant la grossesse et l’accouchement, ou entre partenaires sexuels, et sans doute lors de l’utilisation d’aiguilles). C’est le concept du treatment as prevention (TasP) (traitement comme prévention : dépister et traiter les personnes infectées permet de prévenir d’autres cas. Comme d’autres concepts, il a permis d’envisager la fin de l’épidémie de VIH au niveau mondial.
Surmonter les obstacles à l’éradication du VIH
Trois problèmes majeurs font cependant obstacle à la perspective de l’éradication du VIH au niveau mondial :
- la difficulté à dépister les personnes infectées qui s’ignorent : il y en aurait 24 000 en France ;
- le caractère non éradicateur des traitements actuels : cette situation, qui oblige à prendre des antirétroviraux à vie, nécessite un système de santé robuste que beaucoup de pays peinent à organiser ;
- l’absence de vaccin.
On peut ajouter à cette liste d’obstacles la stigmatisation des personnes infectées et des populations les plus exposées à l’infection.
C’est dans ce contexte que la PrEP a été rendue disponible. Son concept est assez proche de la prophylaxie anti-paludisme. Il s’agit de prendre un traitement avant toute prise de risque : voyage dans un pays tropical pour le paludisme, rapport sexuel avec pénétration sans préservatif pour le VIH. Dans les 2 situations, en cas d’inoculation de l’agent infectieux, celui-ci sera rapidement éliminé et ne pourra pas provoquer d’infection.
Dans le cadre de la PreP, on utilise actuellement une association de deux antiviraux : le ténofovir et l’emtricitabine. Aujourd’hui disponible en générique, cette association était initialement commercialisée sous le nom de Truvada par le laboratoire Gilead ; elle est par ailleurs largement utilisée, en association avec une 3e molécule antivirale, dans le traitement des personnes infectées.
La PrEP constitue le pendant d’un autre traitement anti-VIH préventif, le traitement post-exposition (TPE). Recommandé depuis 1996 en France, celui-ci consiste en l’administration, dans les 48 heures après une situation à risque, d’une trithérapie d’une durée de quatre semaines. Le TPE peut être prescrit suite à une exposition sexuelle, ou dans le cadre professionnel (en général pour des soignants qui auraient été exposés au virus à l’occasion, par exemple, d’une prise de sang).
Une efficacité démontrée
Si la PrEP a pu être prescrite aux USA dès 2012 et en France en 2016, son efficacité était. En effet, les premiers travaux montrant son efficacité chez l’animal avaient été publiés en 1995, et les premiers essais cliniques ont débuté chez l’humain en 2006. L’inspection générale des affaires sociales (IGAS) s’est d’ailleurs interrogée en 2017 sur ce délai de mise à disposition.
Chez l’être humain, différents essais cliniques ont fait la preuve de l’efficacité de l’association ténofovir-emtricitabine, en continu (un comprimé par jour) chez des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH), chez des hétérosexuel·le·s et chez les usager·e·s de drogue par voie intraveineuse, ou en discontinu (4 comprimés seulement pour encadrer un rapport sexuel), chez les HSH.
Ces essais et d’autres études plus mécanistiques ont permis de mettre en évidence des points importants. D’une part, la diffusion du ténofovir est meilleure dans la muqueuse rectale comparativement à la muqueuse vaginale, expliquant des différences de résultats entre hommes et femmes. D’autre part, l’efficacité, élevée, dépend étroitement de la régularité de la prise (l’« observance »). Ainsi, dans l’étude iPrex-OLE, aucune des personnes dont les dosages sanguins reflétaient une prise d’au moins 4 comprimés par semaine n’a été contaminée.
Cette efficacité élevée est également démontrée par le recensement des cas d’échecs vrais de PrEP, depuis son autorisation de mise sur le marché. Ces cas d’infection par le VIH survenant chez des personnes prenant effectivement le traitement sont très rares : 6 seulement ont été publiés à ce jour, alors qu’on estime que 380 000 personnes suivaient un programme de PrEP dans le monde en 2018. Le programme commun des Nations unies sur le VIH/sida (ONUSIDA) recommande d’ailleurs d’atteindre 3 millions en 2020.
Enfin, l’efficacité de la PrEP est aussi illustrée par les résultats obtenus lors d’initiatives locales de programme de prévention. Si le Truvada a pu être prescrit dans ce cadre aux États-Unis dès 2012, les particularités du système d’assurance-santé ont empêché son utilisation à grande échelle. Des programmes de prévention, généralement à l’échelle d’une ville, se sont alors mis en place. Plusieurs métropoles ont récemment rapporté l’impact positif fort de la PrEP sur l’épidémiologie locale du VIH, qu’il s’agisse par exemple de San Francisco, New York, ou Chicago (baisse des nouveaux diagnostics de 2012 à 2017 de respectivement 51 %, 14 % et 29 %).
Un élément d’une stratégie plus vaste
Dans ces différents programmes, les succès obtenus ne reposent pas uniquement sur la PrEP. Celle-ci prend place au sein d’une stratégie plus vaste de prévention combinée qui comprend aussi le dépistage, large et si besoin régulièrement répété, ainsi que l’utilisation des préservatifs masculin et féminin, le treatment as prevention, et le traitement post-exposition. C’est d’ailleurs dans ce cadre de la prévention combinée qu’a été rendue possible la prescription du de PrEP en France à partir de janvier 2016.
L’entrée dans un programme de PrEP comprend en effet une part importante de conseils pour limiter la prise de risque sexuel ou liée à la consommation de produits psycho-actifs (notamment dans le cadre du « chem-sex »). La promotion de l’usage du préservatif n’est pas en reste, car être sous PrEP ne signifie en effet pas en abandonner tout usage. Enfin, l’accent est également mis sur les vaccins pertinents (hépatites A et B, et papillomavirus HPV).
Après l’initiation de la prescription, les « PrEPeurs/euses » sont revu·e·s tous les 3 mois pour vérifier l’absence d’infection par le VIH, dépister les autres infections sexuellement transmissibles (IST) (infections à Chlamydia et gonocoque, syphilis) et l’hépatite C), faire le point sur l’impact de la PrEP sur leur vie sexuelle, et vérifier la tolérance au médicament.
Actuellement, les personnes sous PrEP en France sont essentiellement des HSH et/dont (dans une bien moindre proportion) des personnes trans. Il existe cependant un consensus sur l’intérêt à proposer également le dispositif à certaines personnes migrantes, dont une part importante acquiert l’infection par le VIH après et non avant l’arrivée en France, quels que soient leur genre et leur orientation sexuelle, ainsi qu’aux travailleurs et travailleuses du sexe.
Depuis sa mise en place, la PrEP a fait l’objet de critiques, voire d’opposition. Des questions souvent pertinentes sont évoquées, quoiqu’aucune ne soit in fine rédhibitoire.
PreP et préservatif
L’un des reproches fait à la PreP est qu’elle causerait une augmentation massive des cas des autres IST, du fait de l’abandon du préservatif. Il faut cependant souligner que l’augmentation actuelle, chez les HSH, de cas de syphilis, de chlamydiose rectale et d’infection à gonocoque a débuté à la fin des années 2000, soit bien avant la PrEP. Par ailleurs, une part importante de l’augmentation plus récente des chiffres tient au fait que les IST (en particulier chez les PrEPeurs) sont mieux dépistées. Enfin, des modèles épidémiologiques prédictifs suggèrent que le dépistage répété et le traitement des IST dans le cadre de la PrEP conduira à terme à la diminution de leur incidence. Notons également qu’il serait déraisonnable de faire un amalgame entre la transmission sexuelle des virus Ebola ou Zika, récemment reconnue, et la moindre utilisation du préservatif chez les PrEPeurs/euses, qui feraient le lit d’hypothétiques futures pandémies…
Plus pragmatiquement, on peut considérer qu’il est infiniment préférable d’acquérir une fois ou deux par an, en étant sous PrEP, une infection à Chlamydia ou gonocoque (dont les formes graves sont exceptionnelles, et les séquelles à long termes à peu près absentes chez les sujets masculins) ou une syphilis, qui toutes sont actuellement aisément diagnostiquables et traitables, plutôt que d’être infecté par le VIH faute de PrEP.
Toujours à ce sujet, les critiques de la PrEP soulignent qu’elle favoriserait l’abandon du préservatif. Bien que cela n’ait pas été observé de façon reproductible dans les essais cliniques, le fait d’être sous PrEP peut en effet amener les utilisateurs/trices à utiliser moins souvent le préservatif, en particulier avec des partenaires régulier·e·s. Il est cependant important de rappeler que la PrEP est prescrite chez des personnes parce qu’elles n’utilisent déjà pas constamment le préservatif – et non comme incitatif à l’abandonner.
Toujours en ce qui concerne le préservatif, on entend parfois que la PrEP serait une mauvaise réponse (médicamenteuse) à la sous-utilisation d’un outil efficace (le préservatif), et qu’il serait problématique sur un plan moral de proposer un antiviral en préventif à des personnes qui feraient mieux de mettre le préservatif. Si l’on ne peut que regretter cette sous-utilisation, on peut aussi constater qu’elle est présente depuis les premiers temps où l’épidémie a été reconnue, dans les années 1980. L’absence de PrEP n’amènera les personnes qui n’utilisent pas suffisamment le préservatif à y avoir davantage recours… et les stigmatiser ne les protégera pas de l’infection.
La PreP, toxique et chère ?
Il est également parfois avancé que la toxicité de la PreP serait problématique. S’il est vrai que la dose du ténofovir actuellement utilisée en PrEP peut être à l’origine d’une altération de la fonction rénale, celle-ci est cependant à la fois rare (1 % des personnes, et moins encore chez les sujets de moins de 50 ans sans problèmes de santé), le plus souvent réversible, et d’apparition suffisamment progressive pour être détectée à temps lors du suivi des PrEPeurs/euses.
Enfin, l’un des reproches fréquemment entendu est que la PrEP serait trop chère, toujours par comparaison avec le préservatif. Le coût actuel du médicament n’est certes pas négligeable : en France, il est entièrement supporté par le système de santé, est se monte à 170,97 euros par mois en traitement continu. Il faut cependant le mettre en perspective avec le coût des infections par le VIH, qui impliquent de coûteux traitements à vie. Des modèles prédictifs ont ainsi montré que la PreP, en limitant le nombre d’infection, serait à l’origine d’économies notables pour le système de santé.
L’ONUSIDA vise la fin de l’épidémie de VIH pour 2030. Cet objectif est très ambitieux, mais non irréaliste. Pour l’atteindre, la PrEP apparaît aujourd’hui comme un outil à promouvoir chez les populations exposées, aux côtés d’autres actions efficaces : dépistage adapté à l’épidémiologie, traitement rapide de toute personne infectée, préservatifs… Son impact a été démontré dans plusieurs programmes locaux. On peut espérer que la France sera le premier pays à illustrer son efficacité au niveau national.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Mis à jour le27 avril 2022
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L'auteur
Professeur des Universités
Praticien Hospitalier, Service des Maladies Infectieuses
CHU de Grenoble, Université Grenoble Alpes
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