La conscience dans tous ses états
Aucun doute : la conscience est un sujet de recherche qui intrigue, questionne, déroute parfois mais passionne toujours les scientifiques quel que soit leur domaine, de la philosophie à la biologie en passant par l'informatique. Le succès du colloque pluridisciplinaire "La conscience dans tous ses états" organisé par le collectif CARMEN (Conscience Attention Représentation Mentale) en est la parfaite illustration.
La conscience, un défi pour la science
Pour introduire la journée, Michel Dojat, chercheur au GIN, a essayé de clarifier la problématique en rappelant que nos connaissances sur le cerveau et son fonctionnement n'ont jamais été aussi précises. Pour autant est-ce que ces connaissances peuvent nous permettre d'expliquer de la perception consciente ? Autrement dit suffit-il d'examiner et de comprendre les structures biologiques du cerveau pour déterminer comment elles produisent la conscience ? La question est fondamentale et le défi scientifique immense.
Le philosophe Denis Perrin (Philosophie : Pratiques et Langages – UGA) a continué en analysant l'ampleur de la tâche. Le cerveau peut être décrit scientifiquement en termes quantitatifs et matériels (on parle de différence de potentiels, de vitesse de propagation, d'ondes cérébrales, de neurotransmetteurs chimiques, etc.), mais cette description ne permet pas d'appréhender tout ce que nous entendons par "mental" ou "psychologique". Si la position du philosophe naturaliste est que l'esprit est de même composition que les autres éléments de la nature et donc régi par des lois du même type, ce réductionnisme ne peut pas rendre compte à la fois de la réalité physique de la conscience et de ses propriétés.
Les états de conscience
Alors qu'est-ce que la conscience ? La question n'est pas uniquement philosophique même si le terme prend des sens tellement différents qu'il est difficile de définir globalement ce qu'il recouvre. Il est sûrement plus correct de distinguer les "états de conscience" comme la mort cérébrale, le sommeil, l'éveil, le coma, les états non répondants ou pauci-relationnels, des "états mentaux conscients" comme les sensations, les émotions, le raisonnement, le voyage mental, l'imagination, etc. , et des "états de conscience modifiés" par une pathologie ou l'usage de drogues.
La transe chamanique, en revanche, ne serait pas un état de conscience modifié, contrairement aux idées largement popularisées. En effet, comme l'a expliqué Charles Stépanoff anthropologue au Laboratoire d’Anthropologie Sociale de Écoles Pratique des Hautes études (EPHE), invité pour l'événement, les ethnologues considèrent aujourd'hui que le chamanisme s'appuie davantage sur des dispositions mentales ordinaires qui peuvent être entrainées, comme le rêve ou l’imagerie mentale, que sur des états de conscience volontairement altérés.
Le siège de la conscience
Finalement, les consciences de soi, de son corps, de son existence, du monde autour, d'une expérience vécue, des sensations ressenties, d'un souvenir rappelé, des conséquences d'une décision, de sa mort prochaine… ne sont pas de même "nature" et, on le sait, ne sollicitent pas les mêmes zones du cerveau. Si bien qu'il semble aujourd'hui difficile de réduire la conscience à un phénomène purement physique se produisant dans le cerveau, et encore moins de la séparer totalement du reste du corps.
Étayant cette idée, Catherine Tallon-Baudry, chercheuse au Laboratoire de Neurosciences cognitives et computationnelles de l'ENS de Paris, invitée au colloque, a présenté des résultats de recherche surprenants qui suggèrent l'existence de liens étroits entre l'activité du cœur et de l'estomac et celle du cerveau. Son équipe a en effet réussi à observer des couplages entre les battements cardiaques ou les contractions de l'estomac et les décharges de certains groupes de neurones. Ces observations laissent penser que ces signaux corporels participent à une forme de "conscience" intégrant ces variables physiologiques.
Science et conscience
La conscience est donc difficile à définir, à expliquer, à localiser, mais aussi à évaluer… Quelle conscience attribuez-vous à un fœtus, un nouveau-né, un enfant, à un adulte ? Et à caillou, un arbre, un virus, une bactérie, une fourmi, un poulpe, un corbeau, un dauphin ou un primate ? Sont-elles différentes ? Si oui, en quoi ? En essayant de répondre à ces questions, on perçoit que le développement de l'individu (ontogenèse) comme l'histoire évolutive des espèces (phylogenèse) peuvent peut-être nous en apprendre davantage sur la conscience. C'est ce qu'a exposé Karin Pernet-Gallay, chercheuse au GIN, en se replongeant dans l'évolution des différentes structures cérébrales. Mais émergent alors d'autres questions qui aujourd'hui restent aussi sans réponse : Comment un système nerveux peut-il permettre la représentation mentale ? Et quel est le rapport entre le codage cérébral et le format de la représentation mentale ?
Modéliser le cerveau
Pour mieux comprendre les relations entre le cerveau et la conscience, il faut peut-être essayer de les modéliser. Yves Goldberg, chercheur au GIN, a donc présenté deux des modèles scientifiques de la conscience dominants aujourd'hui : le modèle de l'"espace de travail neuronal global" proposé par Jean-Pierre Changeux et Stanislas Dehaene, et le modèle de l'"information intégrée" proposé par Giulio Tononi.
Dans le premier, la conscience émergerait d'un réseau de neurones spécialisés du cortex possédant de très longs axones leur permettant de relier entre elles différentes aires cérébrales. Un ensemble d’informations serait alors rendu disponible générant l’apparition d’un contenu conscient. Dans le second, c'est l’intégration d'un grand nombre d'informations/perceptions grâce aux innombrables connections cérébrales qui serait le substrat de la conscience. La mesure de la quantité d'informations intégrées donnerait donc une idée du niveau de conscience.
Du Human Brain Project qui vise à simuler le fonctionnement du cerveau humain au connectome humain, plan complet des connexions neuronales d'un cerveau, la modélisation semble une étape incontournable pour nous aider à comprendre l'émergence de la conscience, même si, formellement, nous devrons bien admettre qu'elle nous restera toujours en partie insaisissable : connaître parfaitement le fonctionnement du cerveau d'une chauve-souris, ne nous dira jamais ce que cela fait d'être une chauve-souris…
Une infinité de questions
La conscience est-elle réductible à l'individu ? Qu'est-ce que la conscience collective ? Internet a-t-il une conscience ? Quels liens y-a-t-il entre intelligence et conscience ? La conscience dépend-elle du degré de complexité de l'organisme naturel ou artificiel ? Pourra-t-on un jour artificiellement créer une conscience ? Comment saura-t-on qu'une IA est consciente ? Le flot de questions posées Christian Graff, chercheur au Laboratoire de Psychologie et Neurocognition, et Manik Bhattacharjee, chercheur en psychologie à l'Université de Genève, était intarissable lors de la table-ronde qui a clos la journée.
Si la conscience a longtemps été considérée comme le propre de l'humain, aujourd'hui, elle semble aussi être la différence principale entre l'intelligence humaine et l'intelligence artificielle. Mais comme les deux chercheurs l'ont reconnu, notre conception de la conscience reste encore très anthropocentrée : il nous est en effet plus facile d'attribuer une conscience à ce/ceux qui nous ressemble(nt), autrement dit à un singe qu'à un poulpe par exemple. D'où notre malaise et nos peurs vis-à-vis des robots humanoïdes.
Pourtant, ces conceptions évoluent depuis plusieurs décennies, reconnaissant même depuis peu l'existence d'une forme de conscience - probablement différentes de la nôtre - aux animaux et faisant de leur bien-être dans les conditions d’élevage notamment, une préoccupation croissante.
À suivre
Le colloque "La conscience dans tous ses états" a été organisé par le Collectif CARMEN en partenariat avec le Grenoble Institut des Neurosciences, le CDP NeuroCog et l'IXXI, l'Institut rhônalpin des systèmes complexes. Pour Karin Pernet-Gallay à l'origine de la création du collectif CARMEN, l'objectif de la journée est pleinement atteint : "Nous voulions générer une vraie stimulation intellectuelle sur un sujet où chacun peut apporter son point de vue et nourrir la réflexion collective. Après une journée comme celle-là, il n'y a aucun doute : le travail pluridisciplinaire va continuer et le collectif s'agrandir !"
Géraldine Fabre
Mis à jour le27 avril 2022
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