The Conversation : "Les oasis sahariennes, rempart menacé contre la désertification"
Considérées autrefois comme limite de l’œkoumène (civilisation), les oasis sahariennes existaient déjà au 4e siècle apr. J.-C. Elles ont été créées par les humains grâce à un savoir-faire générationnel hérité, qui a su s’adapter aux contraintes du milieu aride du Sahara. Ces espaces se caractérisent par leurs palmeraies, où le palmier dattier offre une ambiance climatique favorable au bien-être humain. Dans le Sahara algérien, il existe 9 régions oasiennes célèbres, parmi lesquelles on retrouve les oasis de vallées, Oued Righ à Touggourt et Oued M’ya à Ouargla.
Toutefois, les pratiques anthropiques conditionnent l’optimalité des palmiers dattiers comme source nourricière pour les populations sahariennes à l’échelle locale, selon qu’elles respectent ou non le respect du savoir-faire local. Les palmiers jouent aussi un rôle à l’échelle planétaire, en contribuant à lutter contre le réchauffement climatique et la désertification.
Se nouent ainsi entre les populations et leurs oasis des interdépendances dont l’équilibre fragile est à préserver.
Les dattes des caravaniers à l’origine des oasis
Le commerce caravanier serait à l’origine de l’expansion des palmiers dattiers, entre l’an 600 et la fin de l’an 1600 à travers le Sahara. Cette hypothèse est la plus forte lorsque l’on tente d’expliquer le développement de la culture de dattiers en Afrique du Nord : elle s’appuie sur la thèse diffusionniste, courant de pensée en socioanthropologie qui permet d’expliquer les flux migratoires selon les contacts interculturels. Cette période correspond en effet au développement de grandes routes commerciales grâce à l’introduction du dromadaire. Le transfert de « technologie ancestrale » s’amorce et se diffuse, donnant naissance aux premières oasis à palmiers dattiers.
Bien que l’histoire des oasis du Maghreb recèle encore de nombreux secrets, par manque de fouilles archéologiques, le raisonnement logique permet une reconstitution des scénarios probables.
Aussi simple que cela puisse paraître, ce sont les noyaux de dattes crachés à proximité des points d’eau qui ont donné naissance aux premiers palmiers puis aux oasis – leurs fruits et le lait de chamelle constituaient la ration principale des caravaniers qui utilisaient les points d’eau comme aire de repos lors de la traversée. Au fil des années, ces palmiers ont poussé et donné leurs premiers fruits. Les caravanes pouvaient enfin s’affranchir d’une partie des denrées alimentaires au profit de produits à vendre – ou plutôt à troquer – car elles savaient qu’elles trouveraient de quoi se restaurer une fois sur place.
La sédentarisation d’anciens nomades a ensuite probablement participé au développement de ces lieux au 13e siècle (1200–1300), période qui correspond à l’apogée du commerce caravanier où les aires de repos (les oasis) sont devenues des points stratégiques. Désormais, la palmeraie a des habitants pour s’occuper d’elle et peut ainsi s’épanouir. Ces points « névralgiques » sont devenus, par la suite, des villes-carrefours incontournables.
Un écosystème soigné par l’humain
Transmis de génération en génération, un savoir-faire se met en place. Les palmeraies sont cultivées sur deux ou trois étages où cohabitent différentes variétés précoces, tardives, rustiques et adaptées. Un élevage y est associé, assurant la nourriture en protéines et une fertilité reproductible des sols grâce au fumier fourni.
L’étage supérieur composé de palmiers dattiers conditionne l’installation d’une ambiance climatique favorable à l’épanouissement des cultures intercalaires. La surface théorique est de fait multipliée par 1,75. Cela permet d’optimiser les rendements en qualité (diversité des cultures) et en quantité (tonnage à l’hectare).
C’est grâce aux humains que la palmeraie s’est épanouie mais c’est aussi à cause d’eux qu’elle se dégrade selon les choix opérés. Ces derniers sont orientés par les mesures d’aides étatiques, souvent axées sur la productivité qui à son tour est tributaire d’intrants d’origine chimique. Il en résulte des risques imminents sur la dégradation de la fertilité des sols et une pollution environnementale susceptible de provoquer un déséquilibre écologique.
Oasis et services écosystémiques
L’oasis revêt aujourd’hui des fonctions variées. C’est un espace de production, de villégiature mais aussi un lieu qui contribue à l’équilibre écologique. Alors que le palmier fournit des dattes à haute valeur marchande, première source d’attraction pour les acteurs économiques, son ombre permet en parallèle à d’autres cultures de pousser. Il procure également une fraîcheur bienvenue face aux températures extrêmes du Sahara.
Le meilleur exemple est l’effet méso climatique (climat qui règne à l’intérieur d’une oasis) et la capacité d’une palmeraie a atténué la rudesse du climat environnant. La carte ci-dessous concerne l’ancienne palmeraie du Ksar de Ouargla. Elle est caractérisée par une relative biodiversité, probablement menacée, mais qui exerce encore, à certains endroits, un effet tampon.
La succession d’oasis forme aussi un corridor qui facilite le déplacement de la faune migratrice, notamment les oiseaux européens qui traversent le Sahara dans les deux sens au printemps et à l’automne
L’ensemble de ces services dits « écosystémiques » agissent de façon simultanée, à condition bien sûr que l’humain ne s’y oppose pas.
La progression d’une agriculture productiviste
Depuis l’époque paysanne, les mentalités ont progressivement fait évoluer au sein des oasis l’agriculture d’autosubsistance vers une agriculture productiviste commerciale.
Les deux modèles ont leurs arguments. Le commercial prétend moderniser l’activité et augmenter les rendements pour satisfaire les besoins croissants des populations. L’agriculture paysanne de son côté défend l’authenticité des produits de terroir, gage d’une nourriture de qualité. Dans ce contexte, le choix semble impossible : la quantité comme la qualité apparaissent indispensables.
Sur le terrain, la réalité a imposé le modèle quantitatif à cause des exigences de l’économie de marché. Les producteurs sont souvent des investisseurs qui développent des projets « d’agro-business » avec des moyens de production très modernes, non sans conséquences sur l’environnement naturel (dégradation des ressources) et social (marginalisation de l’agriculture paysanne).
Les politiques agricoles incitatives qui octroient à ces modèles de généreuses subventions ont largement contribué à leur développement, lequel attire des opérateurs économiques souvent étrangers à la profession et à la région. Les projets se sont donc développés dans la méconnaissance des impacts locaux.
Les oasis, autrefois forts de la diversité de leur culture et de leurs fonctions, se sont transformées en espaces monoculturaux. À titre d’exemple, la phoeniciculture (culture du palmier dattier), la variété déglet nour est prédominante puisqu’elle constitue 70 % de l’ensemble des oasis algériennes. C’est une variété exigeante, très gourmande en eau et dépendantes de fertilisants et de pesticides, surtout lorsque les superficies dépassent les 50 hectares. De plus, ces palmeraies de création moderne sont installées dans des périmètres dits de mise en valeur en dehors des anciennes palmeraies et de leur effet méso climatique. Ces intrants sont appliqués, pour rappel, sur des sols filtrants qui risquent de contaminer l’unique ressource hydrique fossile du Sahara pour les hommes, les cultures et les animaux.
Si les fonctions agroenvironnementales des palmeraies sont indéniables, les oasis sont désormais tributaires des modèles agricoles développés par l’activité humaine. La progression du modèle productiviste menace aussi bien l’environnement que le bien-être à terme des populations. L’oasis constitue pourtant un instrument efficace de lutte contre le réchauffement climatique et la désertification.
Mis à jour le2 octobre 2020
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L'auteur
Agronome-doctorant au sein du laboratoire Pacte territoires
Université Grenoble Alpes (UGA)