Une neuroprothèse inédite permet à un patient tétraplégique équipé d’un exosquelette de se mouvoir
Sciences et technologies
Article
Pour la première fois, un patient tétraplégique a pu se déplacer et contrôler ses deux membres supérieurs grâce à une neuroprothèse, qui recueille, transmet et décode en temps réel les signaux cérébraux pour contrôler un exosquelette. Publiés le 4 octobre 2019 dans la revue The Lancet Neurology, les résultats de l’étude clinique du projet Brain Computer Interface (BCI), réalisée à Clinatec (CEA, CHU Grenoble Alpes), valident la preuve de concept du pilotage d’un exosquelette 4 membres spécifique. Ce pilotage est permis par l’implantation long-terme d’un dispositif médical semi-invasif de mesure de l’activité cérébrale, développé au CEA. Cette technologie est destinée, à terme, à donner une plus grande mobilité aux personnes en situation de handicap moteur.
En temps réel et sans fil
La tétraplégie, se caractérise par une lésion de la moelle épinière rendant impossible la commande nerveuse vers les quatre membres. Pour limiter la dépendance et faciliter la mobilité de ces personnes en situation de handicap moteur sévère, les médecins et chercheurs de Clinatec, laboratoire du CEA à Grenoble, ont développé un dispositif permettant de contrôler un exosquelette 4-membres grâce à la mesure et au décodage de signaux cérébraux. La grande innovation de ce dispositif est de pouvoir mesurer de manière chronique en haute résolution l’activité électrique dans le cerveau correspondant à des intentions de mouvement du patient puis de les transmettre en temps réel et sans fil vers un ordinateur pour les décoder afin de contrôler les mouvements des 4 membres de l’exosquelette.Pour ce faire, l’équipe du Professeur émérite à l’Université Grenoble Alpes, Alim-Louis Benabid, premier auteur de la publication dans la revue The Lancet Neurology [1] et président du directoire de Clinatec, a conçu un dispositif implantable (WIMAGINE®) qui permet de recueillir, au niveau du cortex sensorimoteur, les signaux cérébraux émis lors des intentions de mouvements d’une personne. Sans besoin de commande extérieure pour provoquer le mouvement, la personne tétraplégique peut se mouvoir grâce au pilotage mental de l’exosquelette. D’après le Professeur Benabid, « ce dispositif est une avancée importante pour l’autonomie des personnes handicapées. Nous sommes très fiers de cette preuve de concept et réfléchissons déjà à de nouvelles applications pour faciliter le quotidien des personnes en situation de handicap moteur sévère ».
De la technologie à l’essai clinique
Clinatec, avec l’autorisation des autorités réglementaires, mène l’essai clinique de ce dispositif, dont les résultats ont été publiés le 3 octobre 2019 dans la revue The Lancet Neurology, chez un patient de 28 ans tétraplégique, atteint d’une lésion de la moelle épinière.Deux dispositifs WIMAGINE® ont été implantés, en juin 2017, de façon bilatérale au niveau des zones sensorimotrices supérieures du cerveau, c’est-à-dire sur le dessus de la dure-mère du patient. Cette intervention a été réalisée à Clinatec par le Professeur Stephan Chabardes, coauteur de la publication, neurochirurgien au CHU Grenoble Alpes et directeur médical de Clinatec. « Participer à la réussite de ce projet, via un accompagnement médical dédié au patient a été très enrichissant », raconte le Professeur Stephan Chabardes.
Suite à l’opération, le patient effectue depuis 27 mois différents types d’exercices pour s’entrainer à contrôler l’exosquelette. Trois jours par semaine, depuis son domicile, il s’entraine au pilotage d’environnements virtuels, comme l’avatar de l’exosquelette et une semaine par mois il se rend à Clinatec pour travailler directement avec l’exosquelette. Equipé de l’exosquelette suspendu, il est aujourd’hui capable d’enchaîner quelques pas et de contrôler ses deux membres supérieurs dans trois dimensions, tout en ayant la maîtrise de la rotation de ses poignets, en position assise ou debout.
Ces capteurs fonctionnent depuis plus de deux ans, fait exceptionnel au vu de la plasticité du cerveau qui rend la stabilité de l’information très difficile et complexe.
Ce patient va continuer à être impliqué dans ce protocole de recherche à Clinatec, et participera activement aux futurs développements. En effet, cette preuve de concept d’une neuroprothèse à grand nombre de degré de liberté, permet d’envisager de nouvelles applications pour un usage au domicile des patients dans le cadre de leur vie quotidienne. Pour cela, l’équipe de Clinatec travaille sur l’intégration de nouveaux effecteurs, comme par exemple un fauteuil roulant, mais également sur la création d’algorithmes encore plus robustes et précis pour réaliser des gestes plus complexes et permettre, par exemple, à terme la préhension d’objet. Il est également prévu l’inclusion à cet essai clinique de trois autres patients tétraplégiques au cours des prochaines années.
Capter les signaux du cerveau pour restituer le mouvement, le dispositif WIMAGINE®
Capter l’activité électrique au niveau du cortex moteur a nécessité de développer un dispositif médical implantable unique au monde : WIMAGINE®. Ce dispositif a été spécifié pour être implanté de manière semi-invasive sur la boîte crânienne, afin de mesurer les électrocorticogrammes (ECoG) grâce à une matrice de 64 électrodes en contact avec la dure-mère, et ce sur le long terme.Des cartes électroniques regroupent les briques d’acquisition et de numérisation des électrocorticogrammes conçues grâce aux experts en microélectronique du CEA-Leti, ainsi que des briques de télé-alimentation et de transmission des données sans fil par liaison radio sécurisée vers un terminal externe. Le packaging de l’implant a été conçu pour garantir sa biocompatibilité et sa sécurité à long terme. Les implants ont été rigoureusement testés pour vérifier leur conformité par rapport aux exigences essentielles issues des directives européennes concernant les dispositifs médicaux implantables actifs.
Les électrocorticogrammes ainsi captés sont ensuite décodés en temps réel afin de prédire le mouvement volontaire imaginé par le patient. Ce dernier peut ensuite piloter par exemple la trajectoire du membre de l’exosquelette correspondant. Le décodage des électrocorticogrammes a nécessité de développer des algorithmes très sophistiqués, basés sur des méthodes d’Intelligence Artificielle (Machine Learning) et des logiciels permettant un contrôle en temps réel des mouvements de l’exosquelette. Ce dispositif a mobilisé les ingénieurs chercheurs du CEA-List, institut dédié aux systèmes numériques intelligents. Ceux-ci ont développé l’exosquelette quatre membres basé sur leurs briques d’actionnement réversible et de contrôle-commande. Cette conception a spécifiquement pris en compte l’interaction d’une personne tétraplégique avec l’exosquelette pour pouvoir la mobiliser en toute sécurité.
L’ambition, à terme, est de décliner les champs d’utilisation de l’interface cerveau-machine pour compenser différents types de handicap moteur et redonner davantage d’autonomie aux patients dans leur vie quotidienne par le pilotage par exemple d’un fauteuil roulant ou d’un bras articulé.
[1] Référence Publication
Publié le7 octobre 2019
Mis à jour le27 avril 2022
Mis à jour le27 avril 2022
Vous aimerez peut-être aussi
- The Conversation Junior : "Alec et Eloa : « Pourquoi est-ce que quand on monte en haut d’une montagne il fait plus froid alors qu’on se rapproche du Soleil ? »"
- The Conversation : "Images de science : Le métal qui se prenait pour du verre"
- The Conversation : "Tuer pour la science ? Une nouvelle expérience de Milgram"
- The Conversation : "Le rêve de Jeff Bezos ou peut-on, vraiment, rajeunir en reprogrammant nos cellules ?"
Télécharger
Références
An exoskeleton controlled by an epidural wireless brain–machine interface in a tetraplegic patient: a proof-of-concept demonstration
Prof Alim Louis Benabid, MD; Thomas Costecalde, PhD; Andrey Eliseyev, PhD; Guillaume Charvet; Alexandre Verney; Serpil Karakas; Michael Foerster; Aurélien Lambert; Boris Morinière; Neil Abroug; Marie-Caroline Schaeffer, PhD; Alexandre Moly; Fabien Sauter-Starace, PhD; David Ratel, PhD; Cecile Moro, PhD; Napoleon Torres-Martinez, MD; Lilia Langar; Manuela Oddoux, MD; Mircea Polosan, MD; Stephane Pezzani; Vincent Auboiroux, PhD; Tetiana Aksenova, PhD; Corinne Mestais; Prof Stephan Chabardes, MD
Published:October 03, 2019
DOI
Prof Alim Louis Benabid, MD; Thomas Costecalde, PhD; Andrey Eliseyev, PhD; Guillaume Charvet; Alexandre Verney; Serpil Karakas; Michael Foerster; Aurélien Lambert; Boris Morinière; Neil Abroug; Marie-Caroline Schaeffer, PhD; Alexandre Moly; Fabien Sauter-Starace, PhD; David Ratel, PhD; Cecile Moro, PhD; Napoleon Torres-Martinez, MD; Lilia Langar; Manuela Oddoux, MD; Mircea Polosan, MD; Stephane Pezzani; Vincent Auboiroux, PhD; Tetiana Aksenova, PhD; Corinne Mestais; Prof Stephan Chabardes, MD
Published:October 03, 2019
DOI