The Conversation : "Avec la transition verte, une entreprise a tout intérêt à jouer la carte du long terme avec ses fournisseurs"
S’agissant de ces dernières, de nombreuses entreprises restent réticentes à s’engager dans la durée avec leurs fournisseurs principalement par peur de dépendance. Les leviers les plus classiques demeurent les contrats de court terme, voire les achats « spots » et la mise en concurrence.
En raison des objectifs climatiques, plusieurs de nos recherches suggèrent néanmoins qu’un changement de paradigme s’avère nécessaire. Plusieurs arguments nous font dire que le collaboratif, sur le long terme, va devoir s’imposer avec les fournisseurs pour atteindre les objectifs de neutralité carbone.
Tout le monde ne sera pas servi
Il s’agira premièrement de devenir des clients attractifs. Finis les vieux réflexes du client dominant, le rapport de force client-fournisseur va vite basculer en faveur des fournisseurs qui maitriseront les technologies bas carbone, les produits biosourcés ou encore le recyclage. Nous avions déjà souligné cette évolution dans notre recherche sur l’avenir de la fonction achats ; la tendance va s’intensifier avec la transition climatique.
Sur de nombreux marchés en effet, l’offre de produits plus écologiques ne va pas croître aussi vite que la demande. D’une part, certaines technologies n’existent pas encore. D’autre part, celles qui émergent nécessitent des investissements lourds et sur la durée de la part des fournisseurs pour une industrialisation à grande échelle.
C’est le cas par exemple des technologies de recyclage de plastique tels le polyéthylène ou le polypropylène. Ces matériaux peuvent-ils être recyclés à destination du secteur agroalimentaire ? Aujourd’hui, ces filières restent embryonnaires, notamment car il s’agit d’être conformes aux normes des matériaux en contact avec les denrées consommées.
Or, compte tenu des objectifs européens et de la législation, la demande va continuer de croître. Et toutes les entreprises de l’agroalimentaire ne seront pas approvisionnées.
Ainsi la direction achats de Nestlé, auprès de laquelle nous menons un travail d’observation, n’hésite-t-elle plus, pour ces raisons, à s’engager sur des relations à long terme auprès de certains fournisseurs. Elle accompagne l’industrialisation de leur technologie comme le recyclage enzymatique du PET, par exemple.
Pour le fournisseur, s’il y a un choix à faire, seules les entreprises comprenant ses contraintes et tentant de répondre à ses besoins seront servies. Nos travaux de recherche pionniers, publiés dès 2011, sur la motivation fournisseur s’avèrent ainsi plus que jamais d’actualité. Nous y montrions déjà que la capacité à motiver ses fournisseurs et à être un client cible limite les risques de pénuries.
Difficile de résoudre ses problèmes avec sa seule R&D
Par ailleurs, il ne s’agit pas que de limiter les risques de pénuries. Pour progresser vers des entreprises plus respectueuses de l’environnement, seul le co-développement avec les fournisseurs permettra d’apporter des réponses globales et satisfaisantes.La neutralité carbone est en effet éminemment complexe. Elle requiert des approches systémiques intégrant les cycles de vie.
Dans le BTP, par exemple, coopérer avec ses fournisseurs en amont des réponses aux appels d’offres sur la réduction carbone est essentiel pour une entreprise de construction. C’est ce que fait Eiffage avec la création d’un « club industriel bas carbone Sekoya » dont l’objectif est d’identifier et de valoriser les solutions les plus innovantes en associant de grands fournisseurs comme Legrand mais aussi des PME et des start-up.
Face à la complexité des enjeux climatiques, il est peu probable qu’une entreprise résolve ses problèmes avec sa seule branche recherche et développement et ses ressources internes, aussi brillantes soient telles. La fonction achats, de par son rôle historique d’interface entre ce qui est interne et ce qui est externe à l’entreprise, est une des mieux placées pour être à l’initiative du développement d’écosystèmes d’innovation.
Émissions indirectes
Coopérer semble enfin indispensable lorsque l’on s’intéresse aux chiffres du scope 3. Le « scope 3 amont » correspond aux émissions indirectes de CO2 d’une entreprise tout au long de sa chaine d’approvisionnement. Elles sont en moyenne 11,4 fois plus importantes que ses émissions directes.
C’est là que se trouvent les plus grands potentiels d’optimisation. Imposer de façon unilatérale des réductions de CO2 à ses fournisseurs signifie devenir un client répulsif. Les accompagner, c’est non seulement renforcer les liens, mais aussi trouver des solutions d’optimisations conjointes qui permettront à l’ensemble de devenir plus vert, plus robuste, plus agile.
Schneider, par exemple, dans le cadre de son « Zero Carbon Project », travaille avec ses 1 000 principaux fournisseurs, représentant 70 % de son empreinte carbone pour réduire leurs émissions de CO2 de 50 % d’ici 2025. Elle leur fournit des outils et des ressources pour les aider et propose de partager son expertise.
Citons aussi les propos de Florent Menegaux, PDG de Michelin à propos de la mobilité durable qui semblent assez significatifs :
Comme l'a déclaré M. Menegaux, notre CEO, à @EVS32_ : "Personne ne peut y arriver seul. C'est pour cela que Michelin agit pour fédérer un écosystème capable de délivrer des solutions concrètes : Movin'On, à la fois ecosystème permanent et sommet annuel." #MovinOnConnect pic.twitter.com/sS80UAJKGX
— MichelinCAN (@MichelinCAN) May 30, 2019
Dans ce nouveau paradigme de la neutralité carbone, la capacité à collaborer avec son écosystème fournisseurs conditionnera non seulement l’atteinte des objectifs climatiques mais aussi sa compétitivité future. Et cette collaboration ne pourra s’inscrire que dans le long terme.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Mis à jour le25 octobre 2021
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L'auteur
Maître de conférences en management des achats
Université Grenoble Alpes (UGA)