The Conversation : "Ce que le confinement nous a appris du désarroi parental"

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Des préparatifs pour l’école aux repas, en passant par les jeux ou le brossage de dents, les sources de tension au quotidien sont multiples. Shutterstock
Des préparatifs pour l’école aux repas, en passant par les jeux ou le brossage de dents, les sources de tension au quotidien sont multiples. Shutterstock
En concentrant les obligations parentales sur quelques fondamentaux simples, le confinement aurait-il, de manière transitoire, relégitimé pères et mères dans leur rôle parental ?
Lorsqu’a été décrété le confinement en France le 16 mars dernier, dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19, beaucoup de psychiatres et psychologues se sont inquiétés pour les enfants et les adolescents dont le suivi était brusquement interrompu.


Pourtant, dans un premier temps, les échanges téléphoniques et les téléconsultations ont souvent fait apparaître des résultats à rebours de ces craintes. Ainsi, l’état psychique de certains jeunes patients se serait amélioré. Des parents, auparavant dans une posture de fragilité face à leurs enfants, auraient mobilisé des ressources insoupçonnées.

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Bien sûr, des études restent à faire pour comprendre plus finement ce qui s’est joué là sur le plan psychique. D’autre part, cette dynamique positive s’est souvent inversée, parfois de façon très brutale, avec la prolongation du confinement. Ceci dit, même transitoire, cette embellie ouvre un nouvel angle de réflexion sur le fonctionnement parental.

Changements de repères

On peut faire l’hypothèse que la matérialité du confinement aurait renforcé la cohésion familiale. La représentation d’un dehors dangereux fait de la cellule familiale un espace protecteur, associé au bon, au « sécure », une sorte de « moi-peau-commun » maintenant le mauvais à distance.

D’autre part, avec le confinement, tous les parents se trouvent soumis à la même obligation de protéger la cellule familiale, aux mêmes consignes relayées, sans trop de diffraction, par les médias. Cela donne un cadre commun à tous les parents, une légitimité accrue à des parents dont les repères éducatifs sont friables. Il faut mettre cette idée en contrepoint de ce que les travaux sur les troubles psychologiques de la parentalité ont mis en évidence.

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Depuis une quarantaine d’années, les consultations en pédopsychiatrie décrivent de nouvelles formes de souffrance dans l’exercice de la parentalité. L’invention même du terme « parentalité » et le nombre croissant de recherches sur le sujet en sont le meilleur témoin.

Être parent aujourd’hui, que ce soit du point de vue juridique, de l’expérience ou de la pratique, est très différent de ce que c’était il y a seulement un demi-siècle. En France, la création en 2010 du Comité national de soutien à la parentalité (CNSP) a été motivée par les transformations et la diversification des formes familiales : recompositions familiales, monoparentalité, homoparentalité, PMA, etc. Elle témoigne des préoccupations nouvelles de l’autorité publique pour les troubles de la parentalité.

Pression croissante

Ce que disent au fond nombre de parents qui viennent demander aujourd’hui de l’aide dans les consultations, c’est qu’ils sont en souffrance, perdus, c’est qu’ils ne savent pas comment s’y prendre avec leur enfant. Tout au quotidien est source potentielle de tensions : les préparatifs pour aller sans retard à l’école, les repas, les activités de jeu, les devoirs scolaires, le brossage de dents, la douche, le moment du coucher ou encore les relations dans la fratrie.

Tout semble se passer comme si les savoir-faire et les savoir-être à partir desquels les générations passées étaient parvenues à assumer leur fonction parentale avaient soit disparu, soit perdu leur valeur référentielle.

Ces parents en difficulté sont rarement démissionnaires. Ils sont surtout épuisés et découragés de voir que rien n’est obtenu dans le rapport à leur enfant sans un déploiement considérable d’énergie, et que rien ne semble définitivement acquis sur le plan éducatif. Le degré de conflictualité en est au point que certains parents disent détester leur enfant plus qu’ils ne l’aiment. D’autres confient leur inquiétude quant à l’avenir et redoutent d’avoir à subir la domination et même la violence de leur enfant devenu adolescent.

L’évidence étant la caractéristique de ce qui s’impose à l’esprit avec une force telle qu’on n’a besoin d’aucune autre preuve pour en connaître la vérité ou la réalité, l’affaiblissement de l’évidence de l’être-parent signe la perte de cette force « tranquille » et constante, la perte du sentiment d’assurance et de légitimité.

Et, pour les parents qui ont encore des ressources pour appeler à l’aide, le désarroi se traduit par la recherche de conseils, de recettes ou d’arguments d’autorité, toutes choses qui, un peu comme une prothèse venant suppléer un membre défaillant, leur donneraient les clés du comment faire, comment dire, et leur garantiraient une consistance éducative qu’ils semblent ne jamais avoir été en mesure d’éprouver.

Supermarché de l’éducation

L’accélération des changements liés à la société hyper-moderne et ses évolutions technoscientifiques ont un impact sur le développement et le fonctionnement psychologique, comme l’ont mis en évidence de nombreux travaux, de La Condition postmoderne de Lyotard à La vie liquide de Zygmunt Bauman.

La perte de l’évidence de « l’être parent » tient en partie à la perte des références communes stables, transmises par la culture et la tradition, tandis que se multiplient dans les médias et sur les réseaux sociaux de nouvelles propositions et théories en vogue – développement personnel, psychologie positive…

Au supermarché de l’éducation, les rayons sont si nombreux que les parents ne savent plus vraiment à quel saint se vouer et passent de manière erratique d’une proposition à une autre, comme si l’efficacité éducative était tout entière contenue dans la méthode ou la recette proposée.

Or, l’efficacité d’une parole n’est pas contenue dans les mots eux-mêmes, mais plutôt dans ce qui les motive. Chacun peut en faire l’expérience en observant que le pouvoir d’un « non » adressé à quelqu’un, ne tient pas dans le « non » lui-même, mais dans ce qui motive intimement ce « non », ce qui le rend légitime pour la personne qui le soutient.

Le confinement a peut-être fonctionné comme un pare-feu (« moi-peau-familial »), protégeant le dedans contre un dehors menaçant. Mais en concentrant les obligations parentales sur quelques fondamentaux simples, en rendant ces obligations communes à tous les parents, il a peut-être amorcé aussi une relégitimation des positions parentales, en recréant temporairement une transcendance, une loi commune, restaurant ainsi le sentiment d’évidence.

Que les parents dans leur très grande majorité aient respecté à la lettre la règle du confinement n’est peut-être pas étranger à cela. Mais les effets de l’expérience du confinement sur la parentalité n’ont été souvent que transitoires, ce qui en montre le caractère éminemment artificiel.The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Publié le17 août 2020
Mis à jour le24 août 2020