The Conversation : "Élections municipales : un outil pour évaluer la démocratie participative au sein des listes"
Le printemps approchait et les élections municipales avaient mobilisé un nombre inusuel de personnes, du fait d’un nombre plus important de listes issues de la société civile.
Un enjeu important ressortait : une gouvernance plus démocratique. Cette demande est-elle affaiblie aujourd’hui ? Aucune enquête ne permet de l’affirmer. On peut néanmoins le supposer puisqu’il ne s’agit pas d’un caprice récent, mais d’une demande de long terme.
Une envie diffuse, mais pas toujours bien analysée
Cette demande d’approfondissement de la démocratie s’est inscrite dans des démarches telles que les assemblées citoyennes ou les budgets participatifs. Du point de vue local, ces outils ont connu un essor sans précédent ces dernières années. Sept communes prévoyaient ainsi des budgets participatifs au moment des élections municipales de 2014, alors qu’au moment des élections de 2020 leur nombre atteignait 170.
Quant aux assemblées citoyennes, elles se sont largement développées sous la forme de conseils citoyens. D’autre part, la revendication par les « gilets jaunes » du référendum d’initiative citoyenne a trouvé un écho local important, si bien qu’un grand nombre de listes en ont récupéré le projet.
Le concept de « liste citoyenne » est pourtant assez ambigu. Parfois il est défini par sa composition (absence de professionnels de la politique), parfois par la méthode inclusive par laquelle son programme est construit. Mais il y a un troisième critère, fondamental, mais peu considéré dans la presse : la formulation de promesses crédibles en matière d’approfondissement de la démocratie.
Le problème principal de ce foisonnement de listes aux ambitions démocratiques affichées est qu’il est impossible aujourd’hui de faire le tri entre celles qui sont plus crédibles et celles qui le sont moins.
Il n’est pas rare que les budgets participatifs n’attirent que six ou sept militants associatifs, que les assemblées citoyennes ne se tiennent pas faute de participants, mais aussi que les systèmes de pétitions restent inopérants à cause de seuils requis trop importants ou d’une communication insuffisante.
Il arrive également que dans certaines communes, notamment les plus petites, la place des citoyens soit importante sans pour autant qu’aucun de ces instruments à la mode ne soit utilisé.
En fait, réussir un dispositif de participation citoyenne est beaucoup plus difficile que le rater. Compte tenu des faibles pouvoirs et des faibles budgets des communes – notamment à cause des transferts de compétences vers l’intercommunalité – ces dispositifs peuvent échouer même avec la bonne volonté des conseils municipaux. Cela va sans dire qu’avec de la mauvaise volonté ils échouent toujours.
Mesurer la crédibilité des promesses démocratiques
Pour pallier ces problèmes un collectif de chercheurs et de citoyens associatifs ont créé le « Participomètre ». Il s’agit d’un instrument qui permet d’évaluer – en donnant des scores chiffrés – la crédibilité des programmes politiques. Il peut être utilisé par n’importe quel citoyen, en remplissant une grille de 108 questions pour évaluer le programme d’une liste candidate aux élections municipales.
Le Participomètre offre plusieurs évaluations. Tout d’abord un score global. Ce score global, cependant, peut être gonflé avec des promesses de dispositifs démocratiques qui sont illégaux. Les municipalités ont une marge de manœuvre assez limitée pour innover démocratiquement, si bien que les programmes qui obtiennent le meilleur score sont plus souvent ceux qui proposent des choses illégales, comme était le cas de la liste « la commune est à nous » à Grenoble.
Naturellement, promettre un dispositif illégal peut se comprendre dans une optique de revendiquer plus de droits, pour les collectivités, d’expérimenter. Mais il faut simplement le savoir lorsque l’on est électeur. Le Participomètre donne donc également un score global qui ne tient compte que des promesses légales.
De plus, chaque liste aura un score associé à chaque dispositif.
Les dispositifs pris en compte sont au nombre de six : les assemblées citoyennes, les pétitions, les votations, les budgets participatifs, les réunions publiques (ce qui inclut les plates-formes numériques) et les consultations des corps intermédiaires. À ce stade, aucun programme étudié jusqu’à présent ne propose quelque chose qui s’éloignerait totalement de l’un de ces six dispositifs.
Les dispositifs privilégiés par les candidats
Le Participomètre montre donc quels dispositifs sont privilégiés par les listes de candidats, et vérifie que ces dispositifs sont présentés de façon crédible dans leur programme.
Ainsi, si un programme met l’accent sur seulement un ou deux dispositifs, il est pénalisé sur le score global. C’est pourquoi le score par dispositif est aussi disponible. On peut donc distinguer une liste qui promeut un seul dispositif de façon très crédible, d’une liste qui promeut sans beaucoup de crédibilité les six dispositifs.
Enfin, chaque programme a des scores pour chaque dimension de la démocratie :
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L’inclusion, à savoir la capacité à promouvoir la participation de tous les habitants dans les dispositifs démocratiques.
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La formation collective d’une prise de position, à savoir la capacité des dispositifs à permettre aux habitants d’élaborer et porter une position collective, et non seulement des avis individuels.
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La capacité à prendre de véritables décisions, par opposition à des dispositifs consultatifs, voire symboliques.
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L’étendue des domaines sur lesquels la participation porte, qui mesure l’ensemble des sujets qui peuvent être traités à travers ces dispositifs.
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La capacité d’initiative, c’est-à-dire la possibilité des habitants d’utiliser ces dispositifs quand ils le souhaitent.
L’analyse est textuelle, c’est-à-dire qu’elle s’appuie sur les programmes écrits des listes tels qu’ils sont rendus publics sur les sites Internet des intéressées. Dans l’idée que les électeurs ne lisent pas dans les pensées des candidat·e·s, le Participomètre n’évalue que ce qui est dit explicitement. Parfois, il vaut d’ailleurs mieux expliciter le fait de ne pas être participatif plutôt que d’énoncer de grandes promesses sans en fournir les éléments tangibles et mesurables. En valorisant ainsi l’explicitation des promesses, l’outil incite à faire de la participation un véritable sujet de réflexion pour les candidat·e·s.
L’ensemble fournit des informations précises sur les forces et les faiblesses de chaque programme.
Des exemples concrets
Nous avons analysé les programmes ayant eu plus de 5 % dans les villes de Paris, Lyon, Grenoble et Annecy. Le Tableau 1 indique le score des listes. Pour faciliter la lecture, les listes sont identifiées à travers la ville où elles se présentent et l’étiquette. Compte tenu du grand nombre de programmes Divers gauche (DVG), Divers droite (DVD) ou Divers centre (DVC), le tableau 1 indique le parti de la tête de liste.
La liste guidée par Eric Piolle maire de Grenoble (Europe Écologie Les Verts, EELV) se détache par rapport aux autres.
Globalement, les listes plutôt de gauche ainsi que les candidats dissidents de La République en Marche (LREM), tendent à faire des scores plus élevés que les listes de droite.
Les listes centristes sont les moins enclines à mettre en avant la question démocratique, avec deux listes Rassemblent nationales (RN) et France insoumise (FI), même si ces deux formations sont faiblement représentées dans les villes retenues.
Y a-t-il un lien entre l’attention portée aux questions démocratiques et les voix effectivement reçues ? L’analyse conduite jusqu’ici tend à confirmer cette idée, avec notamment une percée d’EELV dans les villes où ses listes ont le plus porté l’attention sur les questions participatives.
Trois types de conceptions se détachent
Plus qualitativement, on peut identifier trois types de conceptions de la participation citoyenne : la consultation, la co-construction et la contestation.
La consultation – ou participation « à la papa » – est basée sur l’idée qu’il faut écouter les citoyens avant de prendre une décision. C’est la méthode jusqu’à présent privilégiée par Emmanuel Macron par exemple lors du grand débat. Elle s’appuie essentiellement sur des dispositifs tels que la consultation des corps intermédiaires ou les réunions publiques.
La co-construction – ou participation « à la mode » – est basée sur l’idée que les dispositifs participatifs viennent en appui ou pour compléter les politiques menées par le conseil municipal.
Elle correspond aux dispositifs qui ont connu un grand essor ces dernières années, principalement les assemblées citoyennes et les budgets participatifs.
Enfin, la contestation consiste en des dispositifs qui permettent aux citoyens d’avoir des moyens institutionnels pour contester les politiques de leur conseil municipal et d’en proposer des alternatives. Basées essentiellement sur les pétitions et votations, elles fournissent les moyens aux citoyens de se constituer en contre-pouvoir.
Qui propose quoi ?
Certaines listes offrent des promesses crédibles seulement en matière de consultation. Les meilleurs exemples sont les listes menées par les Républicains Rachida Dati à Paris ou Alain Carignon à Grenoble.
D’autres ne se centrent que sur la co-construction. Les meilleurs exemples en sont les listes menées par les Socialistes Anne Hidalgo à Paris, Sandrine Runel à Lyon ou Olivier Noblecourt à Grenoble.
Enfin, une seule liste fait de bons scores uniquement dans la contestation : celle de l’écologiste François Astorg à Annecy, candidat au deuxième tour.
En général, lorsque la contestation est très présente, les deux autres formes de participation le sont aussi, comme dans le cas des écologistes Eric Piolle à Grenoble ou Grégory Doucet à Lyon, le divers gauche Denis Duperthuy à Annecy ou l’insoumise Danielle Simmonet à Paris).
Ces premières données, qui seront complétées, font déjà apparaître des modèles participatifs propres à quelques grandes tendances politiques. En plus de son intérêt démocratique, le Participomètre permet donc de valider l’existence de ces modèles de manière chiffrée.
Alya Hafsaoui, étudiante en droit à l’Université de Grenoble a contribué à cet article.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Mis à jour le4 juin 2020
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Les auteurs
Professeur de sciences politiques, Sciences Po Grenoble, UMR Pacte
Université Grenoble Alpes
Camille Morio
Maîtresse de conférences, droit public, CESDIP, Sciences Po Saint Germain en Laye
Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay