The Conversation : "Entre télétravail et présentiel, quel management post-crise ?"
En tout état de cause, les managers doivent, de plus en plus souvent, encadrer des équipes composées à la fois de télétravailleurs et de travailleurs présents dans les locaux. À l’heure actuelle, ils doivent d’ailleurs composer avec l’obligation de mettre en place un minimum de 3 jours de télétravail par semaine décrétée par le gouvernement pour le mois de janvier afin de limiter la propagation du variant Omicron.
Mais quelles seront les grandes caractéristiques de ce manager post-crise ? Nous avons cherché à répondre à cette question à partir de l’analyse d’une enquête réalisée auprès de plus de 11 000 salariés. Les résultats nous permettent d’esquisser les modalités d’un management composite, qui combine à la fois des compétences tangibles mobilisables pour traiter des questions techniques, et des compétences relationnelles permettant d’accompagner au mieux le travail en présentiel et à distance.
Management « à l’os »
Selon notre enquête, quatre équipes sur cinq du secteur tertiaire avaient déjà testé le télétravail, ne serait-ce que partiellement, avant la crise. Ainsi, l’apprentissage du télétravail subi a globalement été facilité pour beaucoup, certes sous la contrainte d’une crise qui a mobilisé la société dans son ensemble. Et ce télétravail a même souvent conduit à plus de satisfaction et plus de productivité.
Néanmoins, la dimension collective du travail a posé problème. Nombreux sont les travailleurs qui ont ainsi déclaré manquer de lien social lors de cette expérience de télétravail confinée, même si la plupart des tâches individuelles étaient réalisables à distance.
Ainsi, les réflexions sur les évolutions, les échanges sur les projets, ou encore les partages de points de vue ont généralement été différés et certaines limites sont rapidement apparues, comme le reconnaît un répondant : « On manquait de directives précises de la part de la direction et surtout d’échange avec les collègues pour discuter des petites choses qui consomment du temps si on les traite par écrit. »
La dimension affective du travail s’en est également trouvée affectée, c’est même cette dimension qui a le plus manqué lors de la mise à distance. Ceux qui considéraient avoir les liens les plus profonds avec leurs collègues sont d’ailleurs ceux qui ont le plus souffert de cette période : « On n’a eu aucun soutien psychologique alors qu’on devait nous-mêmes écouter les clients qui allaient mal […] J’ai trouvé très difficile à vivre ce sentiment d’isolement que j’attribue surtout au manque de contact avec les collègues. »
Dans ce contexte, la jeunesse s’est montrée particulièrement vulnérable et les managers se sont souvent mobilisés en sachant se montrer pragmatiques. Et cela a constitué parfois un choc important.
Avec cet éloignement contraint entre encadrement et équipes, nous avons en effet assisté à une forme de management ramené « à l’os », à l’essence même de sa fonction, à savoir encadrer le travail, tout simplement, en osant faire confiance à leurs équipes et en les responsabilisant. Bref, en adoptant une posture de servant leader ou responsable au service du bien-être et de l’efficacité des équipes.
Télétravail : le confinement a recentré le management sur l’essentiel https://t.co/ClkoDKtHeY pic.twitter.com/zimR86K2Fj
— The Conversation France (@FR_Conversation) June 5, 2020
Un manager consacre une partie de son temps à son équipe, une partie à réaliser des tâches d’expertise et une partie en communication et réflexion. L’analyse des pratiques managériales et de leurs effets sur les équipes remet en perspective la hiérarchie de ces tâches.
Dans un grand groupe industriel, on a par exemple constaté une grande difficulté de certains managers, pourtant formés, à proposer des objectifs et un cadre de travail clair et précis à leurs collaborateurs, comme l’un d’eux le regrette dans notre enquête : « Mon chef a été tout simplement absent. Je n’ai eu pratiquement aucun contact, ni a fortiori aucun soutien, de sa part pendant cette période de télétravail forcée. »
On notait également des difficultés dans le suivi d’activité et la disponibilité pour répondre aux questions, comme pour assurer la coordination et faciliter les espaces de discussion au sein de leurs équipes.
Pendant la crise du Covid-19, la mission d’animation de l’équipe de travail « hybride » est donc devenue centrale et essentielle. C’est elle qui a fait la différence dans le vécu des collaborateurs, mais également dans la performance de l’équipe.
L’importance de cette mission de pilotage d’équipes en télétravail et en présentiel s’est d’ailleurs révélée d’autant plus cruciale là où souvent les managers étaient accaparés par des missions de représentation, de reporting et de gestion de projets loin des équipes. Car les organisations du travail ont tendance à considérer que les managers doivent se montrer disponibles pour toutes les tâches que leur hiérarchie veut leur confier, et ces tâches s’avèrent également celles qui sont déterminantes pour leur progression de carrière. Le télétravail a mis à mal en partie cette logique de « management désincarné ».
À la recherche du bon « dosage »
En contexte de télétravail, il ne s’agit plus seulement de donner l’image de la performance, mais de répondre précisément aux requêtes d’équipes en mal d’actions de coordination, d’appui concret et de soutien opérationnel. La présence des uns, jusqu’à épuisement, ou l’absence des autres démontre la difficulté des managers à trouver leur place auprès de leurs collaborateurs, à garder la distance juste et à adopter un rôle de soutien adéquat dans la mise en place de ce management composite d’une activité hybride qui se réalise avec des équipes qui sont en télétravail et en présentiel.
Néanmoins, l’importance du collectif dans l’exécution du travail reste en réalité plus nuancée : plus d’un télétravailleur sur cinq se déclare satisfait d’être à distance de certains collègues pénibles, mais aussi épanoui du fait d’être plus concentré et moins interrompu, ou encore heureux de pouvoir se concentrer sur des tâches de fond. Ils ont pris davantage contact avec les collègues qu’ils apprécient vraiment et ont moins subi leur affiliation professionnelle.
Face à cette hybridation du travail aux options multiples et face à l’élargissement du spectre des attentes individuelles, le management doit donc chercher le « dosage » adéquat entre présentiel et distanciel, entre réunion en salle ou séance de travail à distance via un outil tel que Zoom, Teams, Slack, etc.
Sur la base de ces enseignements, nous pouvons ainsi distinguer quatre caractéristiques chez le manager post-crise :
-
Le manager sait instaurer la confiance et responsabiliser les collaborateurs en prouvant qu’il a confiance en eux pour gérer leur temps, utiliser les outils qui leur conviennent et tenir leurs objectifs. Il mobilise son intelligence émotionnelle au service des acteurs en présentiel et distance.
-
Il crée et anime des espaces de discussion réels et virtuels pour délibérer du travail, de ses conditions d’exercice et de ses nouveaux enjeux, contraintes et potentialités. Il a la capacité à s’ouvrir au monde et à écoute les propositions des autres, même si elles sont contraires à ses critères.
-
Il se concentre sur le management du travail réel et œuvre au quotidien pour un rapprochement entre gouvernance et activité productive en s’appuyant sur de nouvelles formes de management (entreprise libérée, holacratie, entreprise opale, gouvernance cellulaire, etc.).
-
Il est porteur de sens, centré sur la raison d’être de l’équipe ou de l’organisation. Par son exemplarité, il s’assure que tous les collaborateurs sont alignés sur les valeurs et les objectifs de leurs missions.
Désormais, il sera donc difficile pour les organisations de passer à côté d’une réflexion humaine et organisationnelle sur le rôle de leurs différentes lignes managériales. En ce sens, il nous semble avant tout important de travailler sur la posture des managers, sur leur maîtrise de compétences plus précises et solides, afin d’être en mesure d’encadrer le travail d’équipes hybrides, qui réalisent leur activité en télétravail, à domicile ou depuis des tiers lieux ou au bureau. Ce nouveau management composite constitue un véritable champ de recherche à défricher.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Mis à jour le11 janvier 2022
Vous aimerez peut-être aussi
- The Conversation : "Avec la guerre, changement d’ère dans la géopolitique du climat ?"
- The Conversation : "Dépenses, manque de transparence… pourquoi le recours aux cabinets de conseil est si impopulaire ?"
- The Conversation : "Et pourtant, on en parle… un peu plus. L’environnement dans la campagne présidentielle 2022"
- The Conversation : "L’empreinte carbone, un indicateur à utiliser avec discernement"
Les auteurs
Professeur, Chaire Management et Santé au Travail, CERAG, INP Grenoble IAE
Université Grenoble Alpes (UGA)
Clara Laborie
Doctorante en gestion des ressources humaines
Université Grenoble Alpes (UGA)
Damien Richard
Enseignant chercheur en management, Chaire Management et Santé au Travail
INSEEC Grande École
Jean-Charles Beyssier
Chercheur en Sciences de Gestion - CERAG / Chaire de Management et Santé au Travail
Université Grenoble Alpes (UGA)