The Conversation : "La transition socio-écologique sera-t-elle la grande oubliée de la relance post-Covid ? "
Face aux mesures sanitaires sans précédent prises pour combattre la pandémie du Covid-19, il n’est plus un jour sans qu’un gouvernement ou une organisation internationale n’annonce des plans d’urgence record pour venir en aide à l’économie.
Sortir de la crise
Dans ce contexte, nous redécouvrons l’importance de l’État. Si ces financements publics sont indiscutablement nécessaires au soutien et à la relance de l’économie – dont une part importante est figée pour des mois –, il est néanmoins frappant de constater que le financement de la transition socio-écologique soit à ce point ignoré dans ces programmes d’urgence. Alors même que la crise écologique constitue l’enjeu principal de politique mondiale de ce siècle.
À quelle sortie de crise va-t-on assister ? Quelle sera la place faite à la transition socio-écologique ?
Une première réponse tient de la philosophie politique : si une crise, comme le disait le penseur italien Antonio Gramsci, consiste dans le fait que l’ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître, l’enjeu d’une sortie de crise est qu’elle ne soit pas gâchée en reproduisant à l’identique la situation qui l’a précédée.
Comme toute crise, la crise sanitaire et économique actuelle pourrait même être utile si elle offrait les moyens de répondre à la crise socio-écologique à une échelle et une rapidité inégalée.
Combien pour la transition socio-écologique ?
Il faut ici s’appuyer sur des estimations que l’on ne peut, à ce stade, que partiellement chiffrer. Il s’agit de comparer les montants articulés par divers organismes officiels pour le financement de la transition écologique à l’arsenal des mesures économiques d’urgence prises pour répondre à la pandémie.
Depuis 2006 et le désormais célèbre Rapport Stern commandité par le gouvernement britannique sur l’économie du changement climatique, de nombreux chiffres ont alimenté les débats pour savoir quelle somme est en mesure de répondre à la crise écologique.
De 1 % du produit intérieur brut en faveur de la transition écologique, Stern est rapidement passé à 2 %. Un récent rapport du GIEC souligne de son côté que les besoins d’investissements dans le système énergétique se situent à 2,5 % du PIB mondial jusqu’au moins 2035 afin de rester dans la cible des 1,5 degré de réchauffement.
Ces chiffres semblent faire consensus même en incluant la conservation de la biodiversité dans les conditions nécessaires de la transition écologique. Le récent « Pacte vert » de l’Union européenne vise à investir 1,5 % du PIB d’ici à 2030, quand le « Green New Deal » nord-américain est chiffré aux environs de 2 % du PIB.
Contre le Covid-19, des engagements conséquents
Qu’en est-il maintenant des aides d’urgences pour conjurer les effets économiques de la pandémie ?
Nous avons évoqué plus haut les 2200 milliards de dollars des États-Unis. La France a annoncé 345 milliards d’euros ; l’Allemagne 750 milliards d’euros ; le Royaume-Uni 350 milliards de livres sterling ; la Suisse 42 milliards de francs suisses…
Et si l’on additionne les montants des programmes de la Commission européenne et ceux de l’ensemble des États membres – à l’exception de la Croatie, Hongrie, Lettonie et Slovaquie pour lesquels nous ne disposons pas de chiffres –, ce sont plus de 1500 milliards d’euros qui sont engagés, selon nos compilations, pour venir en aide à l’économie.
L’important, toutefois, ce n’est pas tant les montants que leurs proportions. Selon les données à disposition et nos analyses (encore préliminaires), il apparaît que les sommes rapportées au PIB varient considérablement, mais avec des proportions similaires pour l’UE et les États-Unis (respectivement 11,1 % et 10,3 %).
Si l’on prend la moyenne des grandes puissances du G7, on est à 11,1 %. On peut noter qu’avec 21 %, l’Allemagne se situe en tête de course (mais avec beaucoup de montants engagés comme seules garanties de crédits aux entreprises), alors que les 6 % de la Suisse la place plutôt en queue de peloton (ici aussi largement sous la forme de garanties de crédits aux entreprises).
Ces engagements excluent les interventions des banques centrales et vont sans doute augmenter. Mais ils sont déjà de 2 à plus de 10 fois supérieurs à la fourchette des 1,5 %–2,5 % de PIB estimés nécessaires pour la transition écologique, même s’ils ne sont pas voués à être reconduits annuellement.
Le tableau ci-dessous l’illustre bien. Les seules dépenses budgétaires engagées pour répondre aux conséquences économiques du Covid-19 varient considérablement. La grande majorité d’entre eux correspondent à plusieurs années de financement de la transition socio-écologique, même calculée à l’estimation haute de la fourchette, c’est-à-dire à 2,5 % de PIB.
Faire coup double pour un régime post-virus
Avec de tels montants, et sans sous-estimer les besoins économiques et sanitaires urgents, on regrettera longtemps le fait de ne pas saisir une telle occasion en conditionnant une partie de ces dépenses aux investissements nécessaires à une transition socio-écologique menant à un nouveau régime post-virus.
Et tout indique que c’est mal parti, avec notamment le renflouement massif de compagnies aériennes, de fret maritime, ou de croisières.
Même un instrument technocratique comme la « taxonomie verte » de l’UE permettrait de mieux flécher les dépenses publiques en faveur d’une transition socio-écologique, au lieu de maintenir le statu quo, voire même d’aggraver la situation actuelle.
Cette taxonomie liste en effet les activités économiques dites vertes, identifiées comme susceptibles de contribuer de manière substantielle à des objectifs environnementaux. Calquer une part au moins de la relance économique sur de tels indicateurs – même imparfaits – permettrait de faire coup double : se relever du coronavirus, tout en accélérant la transition socio-écologique.
Sylvain Maechler et Yannick Perticone, assistants diplômés à l’Institut d’études politiques (Université de Lausanne), Jimena Sobrino Piazza, chercheuse à l’Institut d’études politiques (Université de Lausanne) et Michel Damian, professeur émérite au Laboratoire d’économie appliquée (Université Grenoble Alpes), sont co-auteurs de cet article.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Mis à jour le3 avril 2020
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L'auteur
Professeur de relations internationales
Université de Lausanne