The Conversation : "Rares, chers, essentiels : quelle actualité pour les métaux en période de pandémie ?"

Société Article
Une mine à ciel ouvert dans le parc minier national de Huangshi, dans la province de Hubei en Chine. chuyuss, Shutterstock
Une mine à ciel ouvert dans le parc minier national de Huangshi, dans la province de Hubei en Chine. chuyuss, Shutterstock
Difficile de s’y retrouver entre les métaux rares qui le sont vraiment, les terres rares qui ne le sont pas toujours, et les métaux qui ont des rôles stratégiques et géopolitiques. On fait le point.
Depuis fin 2019, la pandémie liée au virus SARS-CoV-2 remet en cause plusieurs fondamentaux sur nos stratégies et méthodes d’approvisionnement. Certains produits anodins et non stratégiques, tels que les masques ou encore les lits de réanimations, se sont transformés en produits à forts enjeux qui ont créé des tensions importantes dans les chaînes d’approvisionnement. Cette situation montre d’une part qu’un produit, sans enjeux à un moment donné, peut rapidement devenir essentiel et donc très critique, et d’autre part, que de nombreux pays se sont rendu compte des conséquences de leur forte dépendance envers certains pays, notamment la Chine.


Au-delà de la situation sanitaire actuelle et des produits médicaux, des questions se posent plus généralement pour tous les produits critiques, c’est-à-dire nécessaires et essentiels à un pays, dans un contexte de dépendance économique. Avec la transition écologique et la croissance exponentielle des objets connectés, les pays développés ont davantage besoin de métaux rares qu’auparavant pour alimenter les industries électroniques, proposant des produits tels que des smartphones, ordinateurs ou encore des voitures électriques.

Or, la plupart des pays développés n’ont pas accès à ces métaux rares et doivent donc les approvisionner auprès d’autres pays, notamment la Chine qui aujourd’hui est l’acteur majeur. Ces approvisionnements soulèvent des problèmes géopolitiques, éthiques et environnementaux. Le contexte pandémique que nous connaissons actuellement a eu des conséquences importantes sur ces approvisionnements et a poussé les différents pays à concevoir et mettre en œuvre des stratégies différentes pour les sécuriser autant que possible.

Quels sont ces métaux ?

Les métaux rares représentent une quarantaine d’éléments du tableau périodique. Ils sont produits à faibles tonnages et sont nécessaires à un grand nombre d’industries. Leur rareté n’est pas nécessairement due à leur faible teneur dans la croûte terrestre, mais davantage à leur complexité d’extraction. En effet, il faut distinguer les réserves, réellement exploitables, et les ressources, c’est-à-dire l’ensemble des gisements contenant les minéraux recherchés dans la croûte terrestre. Les métaux rares sont généralement présents à l’intérieur des minerais classiques. Ils proviennent, pour certains d’entre eux, des mines de zinc, de cuivre ou encore de nickel. On retrouve parmi ces métaux, l’indium, le gallium, le cobalt.

Parmi ces métaux rares, on distingue les fameuses terres rares. Certaines d’entre elles sont très recherchées pour leurs propriétés magnétiques et sont principalement produites et extraites en Chine, pouvant générer des conflits d’ordre géopolitique. Contrairement à ce que leur nom suggère, les terres rares ne sont pas si rares, mais leurs teneurs dans les gisements sont souvent très faibles et elles sont donc difficiles à exploiter.

Des terres rares. Dans le sens des aiguilles d’une montre, en partant du haut : praséodyme, cérium, lanthane, néodyme, samarium et gadolinium. Peggy Greb, USDA/Wikipedia


Les métaux critiques sont ainsi nommés par référence à la situation qui serait la nôtre s’ils venaient à manquer. Ils peuvent être propres à chaque entreprise, État ou région. Parmi ces métaux critiques, on distingue les métaux stratégiques qui sont critiques pour des secteurs à enjeux vitaux. Les industries de la défense et l’énergie utilisent ainsi des métaux qui sont stratégiques, car essentiels à leur activité, par exemple l’uranium, en particulier en France, qui est un métal stratégique pour l’industrie du nucléaire.

Les minerais de conflit sont des métaux dont une partie – minoritaire – est issue de territoires sous tension. On parle des 3TG (pour Tantale, Tungstène, Tin et l’or) auxquels s’ajoute souvent le cobalt. Ils sont qualifiés « de conflits », car leur exploitation peut participer au financement de groupes armés, ou reposer sur le travail d’enfants ou travail forcé dans des mines artisanales illégales.

Où sont les terres rares dans le tableau périodique des éléments ? Wikimedia, CC BY-SA


Chacun de ces métaux ou minerais est au cœur d’enjeux actuels forts pour chaque grande région, économie ou pays, comme l’illustrent les questions de terres rares en Chine, de métaux de conflit en Europe et de métaux rares et stratégiques aux USA.

Pas de tension pour la Chine

La Chine, premier producteur, extracteur et importateur de terres rares au monde a vu sa production légèrement baisser au début de la pandémie, du fait des suspensions d’activités industrielles sur les sites de production, du manque de main-d’œuvre dû à la quarantaine et des problématiques logistiques. Avant cette situation, la Chine utilisait ses unités de transformation de terres rares à moins de 40 % de leur capacité, certaines d’entre elles ayant été fermées les années précédentes suite à des renforcements de contrôle environnemental. Les prix n’ont pas subi de forte augmentation et la demande est toujours présente.

Tentative d’émancipation des États-Unis

Les États-Unis avaient déjà décidé de s’émanciper de la Chine pour la production de leurs métaux stratégiques. La crise de la Covid-19 a accéléré cette stratégie concernant l’ouverture de mines et la création de sites de transformation. Sous l’administration Trump, cette recherche d’indépendance vis-à-vis de la Chine était une priorité. Depuis l’arrivée de Joe Biden, la Chine menace encore davantage de réduire ses exportations vers les États-Unis, pour cibler et affaiblir l’industrie militaire américaine.

Le site de Round Top Mountain, au Texas, États-Unis. Wikimedia, CC BY-SA


En réponse, de forts investissements sont faits, notamment sur certains sites comme celui de Round Top Mountain au Texas, qui abriterait 16 des 17 éléments composants les terres rares et 11 des 35 métaux critiques tels que l’uranium et le lithium. Cette montagne, connue comme étant le plus grand gisement de terres rares des États-Unis, pourrait permettre à ce dernier de s’approvisionner en métaux stratégiques pendant 130 ans.

Toutefois, la mise en exploitation d’un tel gisement nécessite près d’une vingtaine d’années. La stratégie des Américains concernant ces métaux ne concerne pas uniquement l’extraction, ils misent également beaucoup sur la recherche et le développement pour notamment trouver des méthodes de recyclages ou de substitutions pour les métaux stratégiques.

La traçabilité des métaux pour l’Europe

En Europe, l’ensemble des États mise sur la traçabilité des minerais de conflits. Depuis le premier janvier 2021, l’Union européenne impose une totale traçabilité de ces métaux, tout comme les États-Unis qui l’avaient mise en place dès 2010 à travers le Dodd-Frank Act.

Au cœur de cette stratégie, la République Démocratique du Congo (RDC) avec la province du nord Kivu, région frontalière du Rwanda et de l’Ouganda. En effet, la RDC est connue, depuis des décennies, pour le trafic de métaux impliquant des problématiques de conflit armé. À l’époque, l’or et les diamants étaient déjà sous les feux des projecteurs, mais dorénavant avec l’explosion des nouvelles technologies, ce sont les métaux tels que le tantale ou le tungstène qui sont ciblés. La nouvelle loi européenne « prévoit l’obligation pour les entreprises européennes intervenant dans la chaîne d’approvisionnement de veiller à ce que leurs importations de ces minerais et métaux proviennent exclusivement de sources responsables et ne soient pas issues de conflits ».

Si le virus SARS-CoV-2 a été un catalyseur des tensions internationales sur certains métaux critiques et/ou rares, les stratégies des grandes puissances différaient déjà avant la crise. L’explosion des nouvelles technologies va continuer d’engendrer des besoins accrus et met en lumière les enjeux de régionalisation des chaînes d’approvisionnement.

Cet article a été coécrit par Pablo Maniglier.The Conversation

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Publié le9 avril 2021
Mis à jour le9 avril 2021