The Conversation : "Toujours plus de réfugiés centraméricains au sud du Mexique"

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Groupe de migrants centraméricains se trouvant du côté guatémaltèque et qui cherchent à passer du côté mexicain en traversant le fleuve Suchiate (qui marque la division entre les deux pays). © Jean Clot, Author provided
Groupe de migrants centraméricains se trouvant du côté guatémaltèque et qui cherchent à passer du côté mexicain en traversant le fleuve Suchiate (qui marque la division entre les deux pays). © Jean Clot, Author provided
La région frontalière entre le Chiapas (Mexique) et les pays d’Amérique centrale est devenue une zone de refuge pour ceux qui ont fui la violence dans leur pays d’origine. Mais à quel prix ?

Alors que le Mexique traitait encore moins d’un millier de cas de demandeurs d’asile il y a cinq ans, ce chiffre a décuplé au 3e trimestre 2017 avec plus de 10 262 demandes comptabilisées par la Commission Mexicaine d’Aide aux Réfugiés.

Près de la moitié de ces demandes (4 475) ont été présentées dans la ville frontalière de Tapachula en 2017 au sud du Mexique. Située dans l’état du Chiapas, à une vingtaine de kilomètres du Guatemala, cette ville d’environ 350 000 habitants constitue un carrefour migratoire et point de passage clé pour les personnes fuyant l’Amérique centrale.

En effet, depuis la fin des conflits civils dans les années 1990, les pays centraméricains, en particulier ceux du « Triangle du Nord » (Guatemala, Honduras et El Salvador), font face à une situation chronique de pauvreté et de violence (guerre des gangs, narcotrafic, violence sociale et politique, etc.) avec des taux d’homicides parmi les plus élevés au monde, ce qui provoque d’importants déplacements forcés de population, aussi bien au niveau interne qu’international, principalement en direction des États-Unis.

Depuis la fin 1990, on a donc assisté à une intensification de cette migration internationale qui s’explique également par certains facteurs d’attraction comme les différences salariales ou encore le besoin nord-américain en main-d’œuvre bon marché.

On estime ainsi que plus de 400 000 personnes traversent chaque année irrégulièrement la frontière entre le Mexique et le Guatemala pour tenter de gagner les États-Unis en transitant par le Mexique.

Demandes et reconnaissances du statut de réfugiés au Mexique, toutes nationalités confondues. Jean Clot/Commission MexicaeauxRéfui, Author provided

Une réponse sécuritaire

La réponse des États a été globalement d’augmenter la sécurité, comme le reflètent les effectifs de la patrouille frontalière qui ont quintuplé en l’espace de 20 ans aux États-Unis, l’usage croissant de technologie militaire (drones, radars), ou encore les avancements de la construction du mur qui couvre aujourd’hui environ un tiers des 3 141 km de limites partagées avec le Mexique.

La tendance à la fermeture s’accentue depuis l’arrivée de Trump au pouvoir, tant sur le plan territorial (promesse de construction du mur sur la totalité de la frontière, augmentation des contrôles) que sur le plan institutionnel et symbolique : retrait récent du Pacte mondial sur les migrants et réfugiés et mesures anti-immigration, à l’instar de la fin du programme humanitaire de protection pour les immigrés salvadoriens annoncée le 8 janvier 2018.

Quant au gouvernement mexicain, il a progressivement abordé les flux migratoires de transit sous l’angle de la sécurité nationale à la manière des États-Unis ; le principal organisme de gestion des migrations, l’Institut National de Migration est d’ailleurs devenu une « Instance de Sécurité Nationale » depuis 2005.

Dans ce contexte, le Mexique, dans un schéma de coopération avec Washington, est progressivement devenu un « état-tampon » qui n’est pas sans rappeler le rôle joué par certains pays, comme la Turquie, avec lesquels l’Union européenne a établi des accords en vue de freiner les mouvements migratoires. Ainsi sur l’année 2016, le Mexique – qui a augmenté contrôles et surveillances aux frontières – a traité plus de 150 000 cas de migrants centraméricains, lesquels ont débouché sur un processus de rapatriement dans la quasi-totalité des cas.

Migrants centraméricains faisant halte dans le parc central de Tapachula. Jean Clot, Author provided

Vers une diminution des flux migratoires

La rhétorique haineuse et les différents décrets anti-immigration du président Trump, malgré quelques revers judiciaires ont exercé un effet dissuasif. On observerait ainsi pour 2017 une diminution des flux migratoires des pays du Triangle du Nord. En effet, alors que 112 513 procédures administratives ont été traitées sur les trois premiers trimestres de 2016, ce sont 59 440 cas qui sont traités sur la même période en 2017, soit une baisse de 47 %.

Par ailleurs, le durcissement de la politique migratoire étatsunienne et la fermeture des frontières a induit une forte crainte chez les nombreux Centraméricains installés et travaillant informellement aux États-Unis depuis des années. Ces derniers vivent désormais dans la peur d’une expulsion. C’est ainsi le cas des Honduriens, dont le nombre s’élève à plus d’un demi-million et dont 350 000 se trouveraient en situation irrégulière en 2017.

Cette situation d’appréhension et d’incertitude dans le pays d’accueil a des répercussions dans le pays d’origine où les immigrés maintiennent une communication constante et des liens étroits. Certes, cela contribue à décourager les candidats au départ, mais pousse d’autres à emprunter des routes migratoires plus longues et dangereuses.

Fatales traversées

L’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) reporte à ce titre 249 cas de migrants disparus ou décédés dans la zone frontalière entre le Mexique et les États-Unis de janvier à juillet 2017, en particulier dans le désert d’Arizona, ce qui en fait l’une des zones les plus dangereuses de la planète pour les migrants, après la région méditerranéenne.

La traversée du Mexique, qui représente un périple de plus de 3800 km, est également un obstacle considérable. La plupart des rapports effectués sur les conditions des migrants en transit, à l’instar de celui du Washington Office on Latina America de 2015, font état de disparitions, d’enlèvements contre rançon, d’exécutions sommaires, d’agressions physiques ou psychologiques ou encore d’exploitation au travail et sexuelle. Les autorités sont également pointées du doigt en raison de leur participation fréquente dans les abus.

Des "coyotes" hors de prix

En outre, il faut rappeler que les prix des différents intermédiaires de la migration irrégulière (notamment les « passeurs » surnommés « coyotes » au Mexique) ont augmenté suite à l’investiture de Trump et des nouvelles mesures prises depuis. Alors que le prix pour passer du Mexique à l’une des villes frontalières étasuniennes se situait entre 5 000 et 7 000 dollars (4 180 à 5 852 euros) durant le mandat Obama, il s’élève à environ 8 000 dollars (6 789 euros) en 2017.

Il existe également des organisations criminelles qui voient dans la migration irrégulière de nouveaux débouchés. Certains gangs se sont spécialisés dans le vol, enlèvement et rançonnage des migrants, alors que d’autres qui se dédiaient traditionnellement au trafic de drogues (les dénommés « cartels ») commencent également à prélever des tributs aux passeurs, ce qui augment le prix total du « service ».

Le Chiapas, refuge par défaut

Cette baisse de la migration de transit a ainsi conduit à une hausse notoire des demandes du statut de réfugié au Mexique même. On peut ainsi observer que, sur la période 2013-2016, les demandes honduriennes sont passées de 530 à 4,124. Il en va de même avec le Salvador : alors que l’on enregistrait 309 demandes en 2013, celles-ci s’élèvent à 3 490 quatre ans plus tard, soit des hausses respectives de 678 et 1000 %.

À cette tendance s’ajoute également, en 2017, l’augmentation des demandes en provenance de Cuba (775) – phénomène qui coïncide avec la fin des privilèges migratoires cubains aux États-Unis – ainsi que celles en provenance du Venezuela (2 676) suite à la dégradation récente de la situation socioéconomique et politique du pays.

Nombre de demandes pour le statut de réfugié en provenance du Honduras et El Salvador au Mexique. Jean Clot/Commission Mexicaine d’Aide aux Réfugiés, Author provided


Or le taux d’acceptation des demandes en qualité de réfugié reste relativement faible, environ 25 % en moyenne sur les quatre dernières années. Pourtant tous espèrent une hypothétique régularisation.

À Tapachula, beaucoup d’autres migrants sans papiers font l’impasse sur les canaux légaux et s’installent aussi temporairement dans la ville. Ne rentrant dans aucune catégorie officielle, ils sont vulnérables et subviennent à leurs besoins essentiels à travers la vente ambulante, les petits travaux mal rémunérés (recyclage d’ordures, nettoyage, construction, services domestiques), ou la mendicité, avec le risque de tomber dans la délinquance ou d’être victime d’exploitation. L’état limitrophe du Chiapas est d’ailleurs celui du pays où sont perpétués le plus de délits et agressions sur les migrants depuis 2014.

The ConversationEn définitive, la fermeture des États-Unis, la politique du Mexique qui privilégie le rapatriement à l’asile et dont la position se calque sur celle de son voisin nord-américain, ainsi que le cercle vicieux de la pauvreté et de la violence en Amérique centrale – peu à même de rompre face aux déportations massives – sont autant d’éléments qui se conjuguent et pourraient conduire à une détérioration sociale et humanitaire à la frontière sud du Mexique, voire à de nouvelles « crises des réfugiés ».

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.



Publié le14 janvier 2018
Mis à jour le15 janvier 2018