The Conversation : "Williamson, une vie de recherche dédiée à la nature et aux frontières de l’entreprise"
Il obtint aux côtés d’Elinor Ostrom le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel en 2009 pour « son analyse de la gouvernance économique, et notamment des frontières de l’entreprise ».
Il fut un auteur prolifique de 1963 à 2016, bénéficiant d’une grande influence en économie, et tout particulièrement dans ces deux sous-champs disciplinaires que constituent l’économie des institutions et l’économie des organisations, mais aussi en management, et dans une moindre mesure en science politique, en droit et en sociologie.
De l’intérêt de l’entreprise
La contribution majeure de Williamson consiste à proposer une analyse heuristique (qui s’intéresse à la manière de découvrir les faits) des structures de gouvernance que sont l’entreprise, le marché, et ce qu’il nommera plus tard les « formes hybrides ».
Ces organisations hybrides ne sont ni des entreprises ni des marchés, mais une sorte de synthèse des deux, à l’image des réseaux de coopération interfirmes.
Pour développer son analyse économique, il s’appuie sur le droit et notamment sur le courant américain dit du « pluralisme industriel » (avec l’idée qu’il existe plusieurs sources de droit dans la régulation des relations professionnelles) ainsi que sur la théorie des organisations, qui s’étend des travaux d’Herbert Simon, prix Nobel d’économie en 1978 fondée sur la psychologie cognitive à l’analyse stratégique du Français Michel Crozier.
D’une certaine manière, l’approche williamsonienne cultive ce que l’on recherche de plus en plus en sciences sociales : la pluridisciplinarité.
Ces travaux, qui ont fait l’objet de nombreuses études empiriques (c’est-à-dire s’appuyant sur l’expérience et les données) au niveau international, ont eu le grand mérite d’éclairer une question centrale en économie industrielle, celle des frontières de l’entreprise : quand un agent économique doit-il décider de ne plus utiliser le marché pour réaliser une transaction, mais recourir à l’intégration, c’est-à-dire à l’entreprise ?
Cette question cardinale des débats modernes en économie de l’entreprise a permis de proposer des outils d’arbitrage rigoureux entre la sous-traitance et la réalisation en interne d’une activité économique dans des économies développées fondées sur la spécificité des actifs (qu’ils soient physiques, humains ou immatériels).
Williamson s’est attaché à comprendre la supériorité de l’entreprise vis-à-vis du marché dans ces situations économiques où l’allocation optimale des ressources spécifiques n’est plus garantie en raison de la rationalité limitée (une multitude de facteurs cognitifs, organisationnels et environnementaux affectant la prise de décision) et du comportement potentiellement opportuniste des agents économiques.
L’entreprise émerge alors comme l’institution du capitalisme la plus efficace pour générer la création de valeur économique et minimiser ce que Williamson nomme « les coûts de transaction » (à savoir, dans ce cas précis, les coûts associés à l’internalisation des aléas contractuels comme les retards ou reports de délais, des dépenses supplémentaires ou les manques à gagner).
Ainsi Williamson élabore les bases constitutives d’une théorie de l’entreprise en tant que hiérarchie fondée sur le contrat de travail.
L’entreprise comme institution hiérarchique
Ainsi « la subordination » justifie la supériorité de l’entreprise vis-à-vis du marché, notamment en matière juridique, car elle permet aux employeurs de bénéficier d’une autorité hiérarchique (en somme de pouvoir donner des directives légitimes aux employés avec une probabilité très forte d’acceptation et sans coûts supplémentaires) permettant d’allouer les ressources sans recourir au mécanisme des prix.
Pour Williamson, c’est la firme qui constitue la meilleure structure de gouvernance pour assurer le bon déroulement de la transaction, lorsque les actifs sont générateurs de valeur, à travers la relation d’emploi.
Force est de constater que le rapport salarial est au cœur du capitalisme et que le contrat de travail, qui fait émerger le rapport formel de subordination, est une propriété invariante des entreprises modernes que l’on retrouve au cœur des régulations sociales des pays développés.
C’est ce qu’évoquent par exemple en France l’arrêt de la Chambre sociale du 13 novembre 1996 et les interprétations jurisprudentielles associées ainsi que les débats récents suscités par les ordonnances Macron de 2017 sur la notion de subordination.
Ainsi la théorie de l’entreprise de Williamson dévoile une approche réaliste qui complète les travaux initiaux du prix « Nobel » d’économie 1991, Ronald Coase, lequel constitue aux côtés de John R. Commons l’un des économistes ayant le plus influencé l’œuvre williamsonienne.
L’analyse des structures de gouvernance ne doit pas être déconnectée de celle de l’environnement institutionnel – c’est-à-dire de l’ensemble des règles influant sur la production d’une nation –, car ces règles structurent les attributs des transactions qui, eux-mêmes, déterminent le type de contrat à mettre en œuvre.
Williamson propose alors une théorie de la firme en tant qu’institution hiérarchique fondée sur un ordre privé interne, propre à l’entreprise. À la régulation marchande se substitue une régulation autoritaire.
L’autorité est source de valeur dans l’organisation. Elle permet de diviser et de diriger le travail de l’employé, mais aussi de régler les différends à moindres coûts. L’autorité fixe les règles du jeu à l’intérieur de la firme. Mais l’organisation ne s’arrête pas aux règles formelles.
La logique collective privée relève du domaine de la gouvernance, c’est-à-dire, pour Williamson, des moyens par lesquels la firme « transmet les ordres, remédie aux conflits et réalise des gains collectifs mutuels ».
Williamson est un penseur majeur de l’entreprise qui a influencé un grand nombre de chercheurs contemporains en économie des organisations, à l’image des travaux des prix « Nobel » 2016 Oliver Hart et Bengt Holmström, qui développeront l’œuvre williamsonienne à travers ce que l’on appellera la formalisation des contrats incomplets et l’analyse des contrats incitatifs.
Virgile Chassagnon a été nominé au « Prix 2020 du Meilleur Jeune Economiste ».
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Mis à jour le9 juin 2020
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L'auteur
Professeur des Universités en Economie (FEG-CREG)
Directeur de l'Institut de Recherche pour l'Economie Politique de l'Entreprise
Université Grenoble Alpes